Live Die Love - TOME 3

67 - L'Adieu à l'Amour

A plusieurs reprises, Daryl me regarde puis son armée puis me regarde de nouveau. Sa tête tourne lentement d'un côté puis de l'autre. Son expression change au fur et à mesure qu'il comprend lui aussi que nous ne pouvons rester ensemble. S'il retournait avec moi à la prison, ce serait comme jeter un loup dans la bergerie.

Ses bras toujours aussi puissants m'enveloppent du mieux qu'il le peut. Je me laisse aller en pleurant contre son cou durant de longues minutes. Je n'ai plus la force de chercher à savoir pourquoi mon motard peut contrôler une armée de mort, autant que la raison de ma survie et de mon étrange immunité. La seule chose qui compte pour moi à cet instant, c'est de sentir le corps de Daryl contre le mien, quel que soit son état.

Comme la mort n'est pas pressée, je décide d'en faire de même et de prendre mon temps. Je me blottis contre celui que je m'apprête à abandonner, une fois de plus, et n'en bouge plus. Le temps n'a plus d'emprise sur moi. Je suis dans ses bras et c'est tout ce qui compte. Durant de longues heures, je m'emplis de la présence de celui qui va bientôt disparaitre de mon existence.

C'est lorsque le soleil amorce sa longue descente derrière les collines que je reviens à moi, reprenant peu à peu conscience de ces milliers de paires d'yeux, où de ce qu'il en reste, sur leur nouveau maitre revenu d'entre les morts. Daryl n'a pas bougé durant tout ce temps, ces bras entourant mon corps avec fermeté, la même que la nuit dernière. C'est comme s'il refusait lui aussi de me lâcher, de peur que je ne disparaisse à tout jamais, sans que nous puissions nous dire au revoir.

Cette idée me ragaillardit. Et si, au lieu d'un adieu, nous nous disions au revoir ? Après tout, si Daryl est capable de conduire une armée de marcheurs, il est capable de rester suffisamment en vie, mmmm, je veux dire debout jusqu'à ce qu'une solution soit trouvée ou bien qu'un miracle se produise également et que je devienne moi aussi une marcheuse. Unis dans la mort à tout jamais. Pourquoi pas après tout ? Faut-il être bien vivants pour avoir le droit d'aimer ? Pourquoi les vivants seraient-ils les seuls à avoir ce droit dans ce monde ? Et si les morts pouvaient vivre aussi leur amour comme ils le souhaitent ? ...

-Daryl ... Tu sais que tu ne vas pas pouvoir m'accompagner à la prison, n'est-ce pas ?

Un léger hochement de tête presqu'imperceptible vient me prouver qu'il comprend parfaitement. Je poursuis en essayant de me montrer la plus enjouée possible, malgré les circonstances.

-Il faut que tu éloignes la horde de la prison. Il faut que tu regroupes tous les morts que tu rencontres pour qu'ils te suivent. Il faut que tu les emmènes loin des survivants. Tu comprends ?

Ma voix n'arrête pas de trembler. J'attends de pouvoir à nouveau parler avant de poursuivre :

-Je t'aime et tu sais que j'ai envie de rester avec toi plus que tout. Mais ce n'est pas encore le moment. Je sais que cela se fera mais pas maintenant. On va se retrouver, mon amour, je te le promets !

J'ignore si c'est pour lui que je prononce ces piètres paroles ou bien pour moi. J'ai besoin de le lui dire. J'ai besoin d'entendre ces mots qu'il ne peut prononcer.

Je cherche à me convaincre que je prends la bonne décision. Même si j'ai besoin de lui dans ma vie, je dois continuer seule. La partie n'est pas encore terminée. Il y a tous ces gens de la prison, David, Emily, Sarah et tous les survivants qui ont le droit de vivre à nouveau en sécurité. Je dois retrouver Sarah pour que la mort de Schelley ne soit pas vaine. Je dois sauver le maximum de personnes pour que celui qui est déjà mort ne reste pas loin de moi pour rien. J'ai besoin de retrouver la raison de vivre que j'ai perdue en même temps que Schelley, ma fille, mon ange disparu. J'ai besoin de ... je dois ... Toutes ces phrases tournent en boucle dans ma tête, je me les répète encore et encore jusqu'à en être étourdie.

J'essaie de retarder le plus possible le moment que je redoute tant. Mais l'heure est venue.

Cette fois-ci, je demande à Daryl de m'embrasser. Je ne veux pas que cela soit moi qui fasse ce dernier pas. Je veux m'assurer qu'il est toujours là. Je veux que cela soit lui qui me dise au revoir avec toute la conscience dont il est capable.

Quelques secondes s'écoulent. Il penche son visage près du mien et cherche maladroitement mes lèvres. Comme cette nuit, je tourne légèrement la tête et à nouveau, le feu embrase mes cellules bien plus doucement que la nuit dernière.

Nos corps sont comme arrachés lorsque je me recule délicatement.

Il est temps que je reprennes le rôle que j'ai si bien endossé cette dernière année, celui de la guerrière et de la survivante ! Alors j'adapte ma posture à ce que je m'apprête à dire à cet homme dont j'ai enfin le courage de reconnaitre qu'il est tout pour moi.

-On va se retrouver, Daryl ! Bientôt ! Mais pour le moment, emmène-les le plus loin possible !

Mon geste embrasse ceux qui fidèles à leur chef attendent l'ordre de reprendre la marche. Daryl observe sa horde pantelante puis détourne son regard. Ses yeux me transpercent dans un dernier regard. Sa main vient chercher la mienne pour la presser, d'abord faiblement puis de plus en plus fort, jusqu'à ce qu'elle l'enserre presque douloureusement. Dans ses doigts, je sens tout l'amour qu'il ne peut formuler. Je réprime mes sanglots, mes yeux se mettent à trembler autant que ma gorge se serre. Je suis malade mais je ne veux pas qu'il voit combien je suis affectée par ce qu'il se joue entre nous. C'est déjà bien assez dur comme ça.

Il repose ma main contre mon corps lorsqu'un son d'une étrange douceur sort de sa bouche. Je le vois alors se retourner puis prendre la direction de l'usine. Celui que j'aime jusque dans la mort se fraie un chemin parmi les siens. Les morts se décalent pour le laisser passer. Je le regarde s'éloigner pour aller prendre la tête de son armée. Lentement le troupeau repart. Au loin, on observe ce qu'il reste encore d'Atlanta.

Lorsque mes jambes acceptent enfin de m'obéir à nouveau, je pars moi aussi, à l'opposé du motard, en direction de la prison. Les sanglots sont les seuls amis qui me soutiennent à chaque pas qui m'éloigne de celui que je suis en train de perdre. La peine a envahi une fois encore ce qu'il reste de mon cœur.