Live Die Love - TOME 3

49 Home sweet home

- Enfin ! S'exclame Harvey. J'ai les pieds en feu. On n'a même pas croisé un seul véhicule abandonné...

Je souris.

- Allez, on y est presque. Laissez-moi vérifier à l'intérieur.

Nous nous trouvons devant une énorme bâtisse. La nuit est en train de tomber. D'autres maisons se dressent au loin, parmi les immenses prairies alentours.

Daryl m'a emboîté le pas et se place juste à côté de moi.

Je le fixe, détourne les yeux vers Glenn qui hausse innocemment les épaules, puis fixe à nouveau le motard, en prenant un air désabusé. C'est vrai que l'on se ressemble, aussi têtu l'un que l'autre.

Par réflexe, je toque à la porte. Les autres me regardent, amusés.

- Quoi ! Leur lancé-je, en levant les yeux au ciel.

Un peu de légèreté ne nous fait pas de mal. La journée a été difficile. Et largement éprouvante...

Je pénètre à l'intérieur, en même temps que Daryl. Bien que la pénombre commence à envahir la maison, l'on distingue encore nettement les différentes pièces et tout ce qui s'y trouve. Elle a l'air d'être à l'abandon depuis longtemps. Personne, aucun bruit ne se fait entendre.

L'un après l'autre, nous avançons dans chacune des pièces, armes en main. Nos gestes se ressemblent. Et nos regards suffisent pour comprendre ce que l'un cherche à dire à l'autre. Nous avons pourtant eu deux vies totalement différentes, comment pouvons-nous agir de façon aussi semblable ?

Après avoir examiné chaque recoin, je ressors et fais signe à Glenn et Harvey d'entrer.

C'est une maison à deux étages. Qui offre une vue d'ensemble imprenable. Excellente pour surveiller les environs.

- Oufffff, enfin, lance Glenn en s'entassant sur le canapé.

- A table ! Crie Harvey presque joyeusement.

A les entendre, on pourrait croire que rien n'a changé pour eux à mon égard. Je commence à me dire que je suis la seule à voir en moi un monstre...
Est-ce que Rick réagirait comme Glenn et comme Harvey ? Et Daryl, que penserait-t'il de moi s'il connaissait mon histoire ?

- Bon, Kate, quand tu auras fini de t'inquiéter, tu pourras venir manger avec nous ! Me taquine Harvey.

- T'en fais pas un peu trop, là ? Je lui réponds.
Poussez-vous, vous prenez toute la place !

Ce n'est pas vrai, le canapé est immense et il y a largement de quoi tenir à 4 voire même plus. Mais après tout, j'ai une réputation de pénible à tenir...

La soirée se termine plus légèrement. Chacun racontant ce qu'il aimait faire de ses soirées avant, avant tout ça. Daryl se montre moins enjoué, son regard cherchant à desceller en moi ce que je lui cache... Je suis la seule à rester silencieuse, souriant de temps à autre à leurs boutades.

Une partie de moi écoute au loin. Et attend le bruit des morts. Je sais déjà que je vais passer la nuit sur le balcon. A faire le guet entre deux cauchemards.

Ce n'est qu'une fois que toutes les portes et les fenêtres sont bloquées que nous allons nous coucher.

Je prends le premier quart et me rends sur le balcon.

Une heure passe. Puis deux. Puis quatre. Un bruit dans la maison m'alerte immédiatement. Quelques pas feutrés se dirigent vers moi.

Daryl sort et s'installe à côté de moi. Il fixe l'extérieur. Je sens son corps tout entier prêt à réagir au moindre danger. Tout comme le mien.

Mes sens sont tendus, à l'affût, comme mon père me l'a appris lorsque j'étais plus jeune. Je suis sûre qu'il aurait aimé que je devienne flic, tout comme lui. J'ai choisi les lettres, luttant à ma manière contre le mal qui rongeait notre monde. J'ai peut-être eu tort. S'il ne m'avait pas appris comment me défendre, je ne serais pas encore en vie.

- Va dormir ! Je prends la relève, m'annonce-t-il sans un regard.

Pffff... C'est mal me connaître. Je ne dors plus depuis plus d'un an. Ou plutôt très mal.

Le regard que je lui adresse est plus qu'explicite.

- Fais comme tu veux, c'est pas moi qui serais naze demain...

Nous restons silencieux. Je suis assise en tailleur et dos au mur. Daryl s'est quant à lui appuyé contre la balustrade de droite, son bras gauche reposant sur sa jambe repliée. Celle de droite s'étend de tout son long, sans toutefois venir me toucher.

Son visage légèrement de côté semble toujours fixer l'horizon.

Le silence me va parfaitement. Je n'aime pas beaucoup parler. Après plusieurs heures, je finis par m'assouplir.

Chaque nuit, le même rêve inonde mon esprit. Ma fille. Mark. La balançoire puis leurs corps délabrés qui s'approchent inexorablement de moi. Sans que je ne bouge. Sans qu'aucun son ne sorte de ma bouche. Je les laisse venir à moi, résignée.
Puis au moment où je sens leurs mâchoires sur moi, je parviens à crier et me réveille... en hurlant.

Mon corps s'agite, je vomis mes cris stridents. Quelque chose se plaque sur ma bouche. Je me réveille en sueur, et découvre Daryl à quelques centimètres de moi, sa main contre mes lèvres.

- P'tain ! Tu vas rameuter tous les rôdeurs du coin..., marmonne-t-il, j'comprends mieux pourquoi tu dors pas...

Il enlève délicatement sa main et va se rasseoir contre la balustrade.

Je prends de profondes inspirations, tout en regardant droit devant moi, chassant les visages de ma fille et de son père encore présents. Le jour n'est pas encore tout à fait levé. La rosée du matin apporte une légère brise qui fait s'envoler quelques-unes de mes mèches ondulées.

Mon père avait l'habitude de comparer la couleur de mes yeux à celle du soleil levant. Ni jaune, ni brun, mais un rouge sombre flamboyant. Il me taquinait souvent en arguant mon tempérament de feu. Mais ce sont les flammes qui ont envahi mon corps et mon esprit depuis cette nuit-là. Arriverais-je un jour à éteindre ce feu qui me consume de l'intérieur ?

Toutes mes pensées me ramènent à ma fille Schelley. Pourquoi est-ce que je refuse sa mort en me punissant de vivre ?

- J'ai beau retourné le problème dans tous les sens, j'vois qu'une seule explication, commence par dire Daryl.

Je n'ai pas envie d'entendre la suite. Je relève mes jambes afin de me mettre debout mais sa main retient mon bras.

- J'ai pas fini.

Je plante mon regard de feu dans son regard de glace. Nos deux êtres s'affrontent en silence. S'opposant autant qu'ils s'attirent. Comme deux aimants, se repoussant parfois l'un et l'autre, se recherchant à d'autres moments. Le duel a démarré. Ce 'petit jeu' risque de durer longtemps. De longues minutes passent. Aucun de nous deux n'a encore baissé les yeux ou même battu des cils.

C'est puéril mais son attitude parfois brusque agit comme un déclencheur chez moi. J'ai toujours détesté l'autorité, celle que l'on m'imposait. Je n'ai pas changé en grandissant. Je suis juste devenue plus nuancée ou peut-être plus futée, dirait mon père. Mais concernant Daryl, je n'ai qu'une envie. Répondre à son jeu par le mien et voir qui en sortira vainqueur. Puéril donc. Mais tellement grisant. Près de cet être silencieux, à la mine sombre, je me sens vivante. Comme si mon sang circulait à nouveau à l'intérieur de moi, chassant ce feu de destruction par une autre flamme, beaucoup plus puissante.

Notre petit jeu aurait pu durer bien plus longtemps encore si quelque chose n'avait pas détourné notre attention.
Nous tournons en même temps la tête vers le champ en face de nous. Trois véhicules se dirigent tout droit vers la maison.

- On reprendra cette petite discussion plus tard ! Me lance froidement le chasseur.

Discussion... J'ai presque envie de glousser. Ah, parce qu'il appelle cela une petite discussion... Autant rester puérile jusqu'au bout :
- Dans tes rêves, je lui réponds tout aussi froidement.

Puis nous rentrons réveiller les autres. Je suis déjà prête à combattre s'il le faut. Ce n'est pas aujourd'hui que je vais mourir, ni aucun de nous quatre...