48 On n'oublie jamais

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Harvey marche à mes côtés tout en restant silencieux. Je sais que mes paroles l'ont durement touché. Même si je m'en veux de l'avoir blessé, je continue de penser qu'il finira par comprendre ; et à accepter.

Glenn semble soucieux, lui aussi. Si j'étais lui, je penserais à Maggie.

- Tu la retrouveras, Glenn. Bientôt.

- En plus, tu lis dans les pensées, me dit-il en clignant de l'oeil.

Je ne peux m'empêcher de penser que David et lui s'entendraient à merveille. Où se sont-ils cachés ? Et Sarah. Ma Sarah.

- Plus vite on les retrouvera, plus vite on rentrera, hein, Kate !

- Mmmm.

Cela fait plusieurs heures que l'on marche d'un bon pas. Daryl revient régulièrement voir si nous allons bien puis repart en éclaireur.

L'après-midi touche à sa fin. Le pont est loin derrière nous maintenant. Pourtant la fumée reste facilement visible. Nous avons bien croisé quelques marcheurs, mais sans grand danger pour nous.

Harvey est en nage. Marcher aussi longtemps est loin d'être dans ses habitudes.
- Je commence à fatiguer, Kate.

- On va bientôt s'arrêter, dès que nous aurons trouvé où dormir.

- Ici c'est très bien, non ? Propose Glenn.

- Je parlais d'un abri, avec des murs... Ici nous sommes trop à découvert, et des proies trop faciles. Pas question...

Je sais que je peux être dure. Tenace. Intransigeante. Et... chiante. Alors j'ajoute à leur intention :
- Faisons une pause...

Des soupirs de soulagement s'échappent de mes deux compagnons.

Je leur demande beaucoup. Qu'est-ce que je leur offre en retour ? A part mon tempérament de cochon ! Et si je commençais à leur faire davantage confiance... C'est un sentiment que je redécouvre, enfoui depuis bien longtemps. Deviendrai-je faible ? Ou juste plus vivante que jamais ?

Je ne veux pas que Daryl entende ce que je vais dire. Je veux le partager pour le moment uniquement avec Glenn et Harvey. Comme pour restaurer un lien unique avec lui. Et d'une certaine façon m'excuser.

Une fois assis tous les trois, j'attends quelques secondes puis me lance. Mes paroles sortent de ma bouche comme un flot libérateur. Les yeux au sol, je revis une seconde fois cette nuit-là...

- C'était le 17 août. Ma fille avait été mordue la veille.

Tous deux me regardent, sans dire un mot. Le temps semble devenir flou, le passé les rattrapant eux aussi au fur et à mesure que je leur raconte ce qui me hante toutes les nuits.

- J'avais assisté à plusieurs scènes où les gens se sont faits mordre puis transformés... Mais je ne voulais pas accepter que ma fille allait devenir comme eux. J'ai prié de longues heures. Au matin, ce n'était plus ma petite fille que je serrais dans mes bras, mais l'une de ces créatures.
J'ai compris au moment où j'ai senti ses mâchoires sur mon bras. Je l'ai laissée me mordre. Je voulais mourir avec elle. Plus rien n'avait d'importance à ce moment-là.

Ma voix se met à trembler, les mots ne veulent plus sortir.

Harvey pose sa main sur mon épaule. Comme pour m'encourager.

- Je n'ai pas pu la laisser comme ça. Vous comprenez. Je n'ai pas pu...

- Ça va aller, Kate. Tu as fait ce qu'il fallait, me dit-il doucement à l'oreille.

- Vous me trouvez sûrement dure et froide, n'est-ce pas. Mais vous ne savez rien de moi : je dois vivre chaque jour avec ce que j'ai fait. J'ai tué ma propre fille. Je suis un monstre et ne vaux pas mieux que tous ces morts. Je suis même pire. Car eux sont démunis de conscience, pas moi.

Puis j'ajoute dans un murmure :
- Vivre est ma punition. La seule façon de me racheter, c'est de sauver tous ceux qui vivent encore...

Aucun des deux n'ose intervenir. Je n'aurais jamais dû leur dire. Qu'est-ce qu'il m'a pris, bon sang ! Je ne vais plus pouvoir les regarder en face maintenant. Mes poings sont tellement serrés que les articulations de mes doigts blanchissent.

- Tu es loin d'être un monstre, Kate, déclare finalement Harvey. Tu es la personne la plus humaine et la plus courageuse que je connaisse. Tu n'as pas besoin de te racheter. Juste de te... pardonner...

Un hoquet de douleur m'enserre la poitrine. Je ne parviens plus à respirer.

- Il a raison, renchérit Glenn. C'est atroce de perdre quelqu'un qu'on aime. Encore plus quand il s'agit d'un enfant. Je ne sais pas comment je réagirais si je perdais Maggie. Mais j'aimerais avoir le même courage que toi.

Je ne comprends pas. Ils devraient me voir comme un monstre et non comme une femme courageuse. Et si c'était eux qui avaient raison. Aurais-je droit moi aussi à la rédemption ?

Je me lève, en marmonnant un simple merci. J'ai déjà trop parlé.

Le cylindre de la moto de Daryl interrompt notre silence. Lorsqu'il nous rejoint, aucun de nous trois ne relève la tête.

- J'ai loupé un truc ou quoi ? Nous demande-t-il.

Je choisis l'indifférence mais son regard m'indique qu'il n'est pas dupe.
- Est-ce que tu as vu des maisons, Daryl ?

Je le vois se fermer, répondant simplement par un grognement que je prends pour un oui...

- Bon bougez-vous le cul, il va falloir encore marcher ! Nous lance-t-il. Tout montre qu'il est en colère. C'est mieux comme ça, me dis-je. Il vaut mieux qu'il soit fâché, ce sera plus facile de rester distants l'un envers l'autre.

C'est plus facile pour moi de ne laisser personne s'approcher. Pas d'amour, pas de risque de le perdre. Facile. Mais injuste. Ce n'est pas vivre lorsqu'on refuse de ressentir ce qui fait notre humanité. C'est pourtant la seule issue que j'ai trouvée. Jusqu'à aujourd'hui.

Live Die Love - TOME 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant