Chapitre 0

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Grand Théâtre de Paris.
Cœur de la ville.
07h.

- Allez, sur la pointe, Gabriel ! Plus vite pour ta ronde !

Gabriel tourne sur lui-même, son souffle court, avant de s'arrêter net. Il tend ses mains vers le plafond majestueux du théâtre, ses pieds disgracieux prenant soudain une posture d'une élégance étonnante, comme une statue cherchant à se libérer de son socle invisible. Dans ce mouvement figé, une certaine mélancolie se dégage de son corps tendu.

- Bien, très bien, Gabriel. Belle posture. Maintenant, fais la révérence, tout en douceur.

Gabriel, tel un automate, s'incline lentement. Ses gestes sont fluides, presque éthérés. Sa main droite se pose doucement sur sa poitrine tandis que son bras gauche s'élève dans un arc gracieux, avant de retomber derrière son dos. Ses pieds se croisent avec précision, marquant une révérence parfaite. Le professeur, Monsieur Delaporte, ne peut qu'admirer cette grâce qui ne semble jamais lui appartenir entièrement.

- Tu as été parfait, Gabriel, du début à la fin. Tu peux t'en aller, mais n'oublie pas de revenir demain matin à 7 h, d'accord ?

- Oui, Monsieur Delaporte, à demain.

Le jeune danseur s'avance vers ses affaires posées en coulisses, ramasse ses vêtements avec une lassitude discrète, avant de se diriger vers les vestiaires. Là, il se change et se rafraîchit sous la douche.

Gabriel Attal, 28 ans, n'a pour diplôme qu'un simple Bac en management. Pourtant, il a embrassé la danse pour satisfaire ses parents, issus d'une lignée de danseurs prestigieux. Pour eux, il était hors de question de laisser ce flambeau familial s'éteindre. Un des enfants devait reprendre l'héritage des Attal, coûte que coûte. Mais pour Gabriel, la danse n'a jamais été un choix, plutôt une contrainte, un sacrifice. Avec un salaire de 3 046 euros par mois, il n'a jamais cherché à se plaindre ouvertement. C'était un compromis avec sa vie, une vie qui, jour après jour, semblait moins lui appartenir.

Sorti des vestiaires, Gabriel salue distraitement le personnel du théâtre avant de s'engouffrer dans la rue. Il met ses écouteurs et s'isole du vacarme des klaxons matinaux. "Black Swan", une version instrumentale, s'élève dans ses oreilles, et avec elle, une échappatoire. En marchant, il danse. Ses mouvements sont naturels, presque inconscients. C'est dans ces instants qu'il oublie tout : le poids de l'héritage familial, la pression de ses parents, la routine. Dans cette bulle de musique, il s'imagine une autre vie, une où il aurait choisi une carrière qu'il aime, une où il serait libre.

Les passants, malgré leur air renfrogné typiquement parisien, le regardent curieusement. Mais Gabriel ne remarque rien, ne ressent rien d'autre que cette liberté momentanée. Arrivé chez lui, il coupe la musique, insère la clé dans la serrure et entre dans l'appartement qu'il partage avec Stéphane, son meilleur ami depuis toujours.

Appartement de Gabriel et Stéphane.
Centre de Paris.
07h30.

- Alors, comment s'est passée la répétition ? Demande Stéphane, déjà accoudé à la table de la cuisine.

- Laisse-moi me suicider, et ensuite je te répondrai, Plaisante Gabriel, fatigué.

Stéphane sourit doucement, ôte ses lunettes, puis se dirige vers la cafetière pour préparer deux tasses.

- Attends, laisse-moi deviner : spirale infernale, suivie d'une girouette autour de toi-même ?

- Tu as tout compris, Répond Gabriel avec un soupir. On est à deux semaines du spectacle, et il veut déjà que je fasse des pas pratiquement impossibles. Ce ne sont pas ses pieds qui souffrent, ce sont les miens.

- C'est un idiot. Il ne changera jamais. Tu sais pourquoi ?

- Non, mais je sens que tu vas me le dire, Répond Gabriel, anticipant la réponse.

- Parce qu'il est jaloux de ta performance.

Gabriel secoue la tête, un sourire ironique sur les lèvres.

Stéphane s'approche de lui, lui tend sa tasse de café fumante avant de s'asseoir sur le canapé.

- Même si tu détestes la danse, Gab, tu es doué. Je ne dirai pas que tu es né pour ça, mais c'est dans ton sang. Et quand tu danses, tu es magnifique. Ce n'est pas juste un avis d'ami, c'est un fait.

Gabriel sourit, touché par les paroles de Stéphane. Ils se connaissent depuis toujours, et son ami a toujours été son plus grand soutien, que ce soit dans les moments de gloire ou de désespoir.

Stéphane connaît bien la relation tumultueuse que Gabriel entretient avec la danse, imposée par des parents stricts. Il se souvient encore des premiers spectacles où Gabriel, pourtant doué, semblait toujours sur le point de s'effondrer sous le poids des attentes parentales. Mais Stéphane a toujours été là, le réconfortant, le ramenant à la surface quand le jeune danseur se sentait submergé. Ils sont le pilier l'un de l'autre, un lien indéfectible, même si Gabriel sait que son ami a raison : il a la danse dans ses gènes, dans son sang. Tous ses mouvements, même les plus douloureux, sont l'expression d'une histoire familiale longue et complexe. Pourtant, il y a des jours où il voudrait tout abandonner.

La dernière fois qu'il avait tenté d'arrêter, Gabriel était rentré à l'appartement pour trouver Stéphane blessé, un avertissement clair de ses parents. Depuis, il danse, pour éviter que son meilleur ami ne soit pris pour cible. Mais combien de temps encore pourra-t-il tenir ? Combien de temps avant que son corps ne lâche, avant qu'il ne s'effondre définitivement ? La seule question qui le hante est : quand ?

- Je vais me reposer, la répétition m'a tué, Murmure Gabriel en se levant.

- D'accord. De toute façon, je dois partir. Mon taxi arrive dans cinq minutes. À ce soir, Gab.

- Ok, à ce soir, Steph.

Stéphane attrape sa veste, son sac, et ses clés avant de sortir de l'appartement. Il descend les escaliers rapidement, jetant un dernier coup d'œil à la porte derrière lui. Stéphane Séjourné, 32 ans, est ministre de la Justice à l'Élysée. Il sait que la vie de Gabriel a toujours été une lutte, mais il espère qu'un jour son ami rencontrera quelqu'un qui saura lui redonner le sourire et la joie qu'il a perdus. 

Ce qu'il ignore encore, c'est que ce vœu, qu'il chérissait depuis si longtemps, allait se réaliser dans peu de temps mais c'était loin d'être facile.

Dansons Ensemble Tome1 Naissance d'un amour en flammeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant