Chapitre 19 - Respirer pour deux

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Je sens mes mots dépasser mes pensées, franchir la barrière que j'ai érigée depuis si longtemps. Et dès que je me rends compte de ce que je viens de dire, je recule, presque instinctivement, m'éloignant d'elle sur le transat. Mon cœur bat à tout rompre, l'idée de m'être montré si vulnérable devant elle me terrifie. Je ne devrais pas m'attacher ainsi, ne pas lui montrer mes faiblesses.

Mais alors que je m'apprête à me lever, elle s'assoit en face de moi, si proche que je peux sentir sa chaleur contre moi. Ses mains viennent doucement encadrer mon visage, et je sens une tendresse qui me fait mal. Elle me force à la regarder, à affronter ce que je viens de dire, ce que je ressens.

Salv...ne fuis pas je t'en supplie, murmure t-elle, ses yeux scrutant les miens.

Je sens mon cœur se serrer, je ne veux pas de sa pitié, je ne veux pas de ses sentiments. Puis son regard glisse de son visage à mes poignets. Je vois ses yeux s'écarquiller légèrement en découvrant les traces fraîches des chaînes, les marques rouges et enflées, encore ensanglantées.

—Qu'est-ce que tu t'infliges...  souffle-t-elle, sa voix brisée par la tristesse.

Ses doigts effleurent délicatement les marques, et je sens sa douleur pour moi. Je vois l'inquiétude dans son regard, cette compréhension silencieuse qu'elle est en train de rassembler, pièce par pièce. Elle s'approche un peu plus, et sa voix douce murmure :

— Je t'en supplie, montre-moi ce qu'ils t'ont fait.

Je reste figé, hésitant. Mon instinct me crie de ne pas le faire, de ne pas la laisser voir la réalité de ce que je suis devenu, Le Corbeau, de ce que j'ai enduré. Mais ses yeux, ces mêmes yeux que j'admire tant, sont pleins de supplication, et je sens quelque chose en moi céder.

Avec une lenteur calculée, je saisis le bas de mon t-shirt noir et le tire par-dessus ma tête, le laissant tomber au sol. Son regard descend sur mon torse, et je vois l'ombre d'un choc dans ses yeux. Mon corps est une carte de cicatrices, chaque brûlure, chaque entaille marquée sous l'encre de mes tatouages.
Elle pose doucement une main sur ma peau, sa paume chaude contre mes cicatrices. La caresse est douce, presque révérencielle, mais pour moi, elle est comme une brûlure. Je n'ai jamais laissé personne me toucher, je ne le peux pas. Chaque contact, chaque effleurement me ramène à ces souvenirs que j'ai essayé de noyer sous la violence et l'encre.

— Tu... tu es... tellement... baffouille t-elle.

Je ne peux retenir une grimace de douleur alors qu'elle continue, explorant mon torse du bout des doigts, cherchant peut-être à comprendre l'étendue de ce que j'ai vécu. Ses yeux se remplissent d'une émotion que je ne veux pas affronter. Pourtant me voilà, complètement nu, exposant le monstre que je suis.
Me voilà complètement moi, brisé, détruit, à l'agonie.

— Est-ce que tu as mal ? demande-t-elle, sa voix brisée par la compassion.

Je détourne les yeux, incapable de la regarder dans ce moment de vulnérabilité.

— Je ne sais pas, murmuré-je, ma voix rauque. Je ressens toujours tout comme si c'était encore tout frais. Personne ne m'a jamais touché le corps, trésor.

Les mots sortent plus facilement que je ne l'aurais voulu, révélant une vérité que je garde enfouie. L'aveu est brutal, mais c'est la réalité de mon existence. Je ne sais pas ce que c'est que d'être touché sans douleur, sans cette peur viscérale qui me tord les entrailles. Et maintenant, avec ses doigts sur ma peau, je suis terrifié et fasciné tout à la fois.
Elle ne retire pas sa main, et je peux presque sentir son cœur battre plus fort alors qu'elle réalise l'ampleur de ce que cela signifie. Mais elle ne recule pas, elle ne s'éloigne pas.

L'as de Pique ♠️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant