Chapitre 54 ❇ ...Et le dernier rempart

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Drago entama une ronde autour d'elle, tel un prédateur savourant sa victoire.

― Ah, je peux presque voir la scène... railla-t-il, un sourire cruel aux lèvres. Hawke, si serviable et juste, te promettant mettrait la main sur le destinataire du message. Hm !... Et tout ce temps, la personne que tu cherchais désespérément était juste là, sous ton nez. Quelle ironie, n'est-ce pas ?

Loctus scella sa bouche dans le silence. Drago omettait sciemment le choc qui avait traversé Isaiah en entendant le message dans le temple. Un message qu'il n'avait jamais eu entre les mains, effacé par Allison avant que la vérité n'atteigne ses oreilles. Dans sa cruauté, le Drënien se délectait de la laisser s'enliser dans le doute et la trahison, comme une marionnette prise dans les fils d'une sombre manipulation.

Drago pencha la tête.

― Ton cher... allié, accentua-t-il le terme avec moquerie, a ignoré l'aide d'un seigneur de la Confrérie. Il t'a menée en bateau, sans même t'en rendre compte.

Loctus tenta de se relever, lorsqu'un second coup de pied dans le ventre la terrassa.

― J'avais entendu parler des talents de séduction d'Hawke, mais je ne m'attendais pas à ce que toi, la Loc que je connaissais, baisse autant ta garde pour te faire manipuler comme une débutante. Je n'imagine pas combien il doit en rire lui-même.

Ahsan ne put contenir sa colère davantage. Il ne put faire deux pas qu'un Krânien lui asséna un coup violent à la tête par-derrière. Il s'effondra à genoux sur le pont, la mâchoire serrée de douleur. Par les tripes du Kraken ! Où sont ces maudits renforts ?!

Deux autres marins, incapables de soutenir la vue de leur capitaine malmenée ainsi, chargèrent vers Drago. Deux tirs tranchèrent l'air. Un capitaine Krânien, à la proue de son navire, les abattit sur-le-champ. Un silence macabre tomba comme sur le pont lorsque leurs corps percutèrent le sol.

Loctus, amochée, se pétrifia à la vue de leur corps... Ceux de sa famille.

― Drago !

Ses lèvres se fendirent d'une grimace douloureuse, tandis qu'elle s'efforçait de rassembler assez de force pour parler.

― Par les bourses de Black Wall ! Je te jure... tu vas me le payer ! fulmina-t-elle, sa voix rauque et brisée par la douleur, le sang battant contre ses tempes. Je vais t'abattre !... Même si je dois te traîner dans les abysses moi-même !

Loctus s'efforça de lever à nouveau son torse du sol, tandis que l'ombre de Drago se tenait au-dessus d'elle, implacable et menaçant.

Saiya, agenouillée, sentit son corps trembler sous l'effet d'une panique dévorante. La vision des cadavres, de Loctus, blessée et humiliée, la laissait sans souffle, comme si un poids invisible écrasait sa poitrine. Les larmes qu'elle tentait de retenir coulèrent sur ses joues. Incapable de détourner les yeux du corps meurtri, l'historienne se mit à trembler encore plus fort.

Alors que Loctus s'évertua tant bien que mal à nouveau de se redresser, Drago en profita pour envoyer un coup de pied puissant dans sa mâchoire. Sa tête bascula sur le côté, une giclée de sang s'échappant de sa bouche entrouverte. Vulnérable, elle retomba lourdement au sol.

― Arrête ! hurla Saiya, à bout. S'il te plaît... tu lui fais mal !

Le désespoir déchirait chaque mot. Ses sanglots s'étranglaient dans sa gorge alors qu'elle levait vers le Siphonneur des yeux implorants, espérant déceler une once d'humanité dans cet homme qui en était désormais dépourvu.

― Assez ! Elle... elle ne peut plus se défendre ! supplia-t-elle, le souffle saccadé, sa voix résonnant dans l'air lourd du pont.

Saiya se savait impuissante, mais quelque chose en elle refusait de rester silencieuse, de laisser Drago continuer cette violence insensée.

Loctus avait la joue appuyée contre le bois rugueux. La douleur irradiait de sa mâchoire, de son visage et de son ventre, mais ce n'était pas cela qui l'anéantissait. Un nouvel échec... de protéger les siens. Elle pouvait entendre les supplications de Saiya, mais sa vision se brouillait.

Drago se détourna de sa silhouette immobile. Il fit quelques pas et se pencha. Ses doigts effleurèrent le pistolet à silex de Loctus, abandonné sur le pont comme un souvenir d'une époque révolue. L'arme en main, son regard se posa de nouveau sur celle qui avait autrefois enflammé son cœur.

― Il y a un temps où... je t'ai aimé, Loc. Vraiment.

Sa voix, chargée d'une amertume sourde, flottait entre eux comme un écho d'anciens souvenirs. Il inspira, comme s'il goûtait à l'amertume de ses propres paroles. Son visage s'assombrit, se parant de cette froide résolution qui avait désormais pris le dessus sur tout le reste.

― Mais je ne peux plus reculer. J'ai trop fait de sacrifices pour pouvoir reculer maintenant.

Drago tendit le pistolet vers sa silhouette affaiblie. Son expression se durcit alors qu'il trancha :

― ... même pour toi.

― Non !

Le cri de Saiya déchira l'air, brutal. Animée par une force qu'elle-même ne contrôlait plus, la Warloïte quitta le sol d'un bond et se lança en avant. Chaque pas la rapprochait de cette scène cauchemardesque, où Drago menaçait celle qu'elle aimait comme une sœur.

Dans sa course, un Krânien posté près d'Ahsan tenta de l'intercepter, mais avant même qu'il ne puisse esquisser un geste, le Drënien jaillit comme un fauve. Il fondit sur l'homme, le percutant de tout son corps. Les deux s'écroulèrent sur le pont dans une mêlée brutale.

Saiya continuait sa lancée, mais deux autres ennemis s'élançèrent pour la stopper. Cette fois, un deux autres membres du Maelström les plaquèrent contre le bastingage du navire.

À demi consciente, Loctus percevait le monde à travers une brume épaisse. Ses oreilles captaient un tumulte ; des cris étouffés, des heurts sourds, des corps qui s'entrechoquaient. Le chaos lui parvenait en échos lointains. Le souffle lourd de sa propre respiration, tambourinant dans sa tête, assourdissait tout le reste. Le bois du pont, rugueux et froid contre sa joue, se mêlait à une douleur diffuse qui pulsait dans tout son être. Chaque son lui parvenait à travers un brouillard épais, et elle s'accrochait à ces bribes de réalité pour rester ancrée à la vie.

Puis, le calme.

Un silence étrange succéda au tintamarre. Une volonté inexplicable la poussa à bouger. Avec effort, sa tête se leva, les paupières encore tombantes. Sa vue était floue, mais l'image devant elle devint rapidement nette, et ce qu'elle aperçut la tira brutalement de son semi-évanouissement.

L'ombre de Saiya la recouvrait telle une sentinelle protectrice. De dos, la jeune femme se dressait devant Loctus, ses bras écartés de chaque côté. Un rempart.

Une terreur viscérale l'envahit. Une sensation oubliée.

― Sai... mais qu'est-ce que... qu'est-ce que tu fais... ?

Saiya, les yeux embués de larmes, avait fait son choix. Ses traits, jadis déformés de détresse, trahissaient une résolution sans faille. Chaque souffle murmurait une promesse.

― Je ne te laisserai plus la toucher... Pas sans me passer d'abord sur le corps. 

 

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