Agatha Harkness - Le procès de la sorcière

Chapitre 2 - Un bout d'éternité devant nous

1720 – Marseille

Les rues étaient silencieuses, hantées par l’ombre de la mort. Les rares survivants restaient cloîtrés, priant pour échapper au fléau. Dans cet environnement sombre et désespéré, une silhouette fière solitaire traversait la brume.

Agatha avançait, le regard vif, observant les signes. Seules les portes affublées d'une croix l'intéressaient.

Elle entra dans une maison où un malade agonisait. Ses gestes étaient précis, contrôlés. S’approchant du lit, elle observa en silence. La femme à demi-consciente n’avait plus que quelques minutes à vivre. Elle ne la touchait pas directement, c'était inutile et dégoûtant.

- Tu as bien vécu, murmura-t-elle pour elle-même, plus par habitude que par sympathie. Maintenant, laisse-moi profiter de ce qui ne t’appartient plus.

Elle sortit une petite fiole et la posa délicatement près du corps. Ses doigts tracèrent un symbole complexe dans l’air, déclenchant un léger frémissement dans la pièce. Un froid familier l'enveloppa, comme une brise glacée. Cela ne venait pas de son sortilège. Elle n’eut pas besoin de se retourner pour savoir ce qui se tenait derrière elle.

Toujours là quand il y a des morts, murmura Agatha en tournant doucement la tête.

Rio était là, le visage illuminé par la lumière vacillante de la bougie trônant sur la table de nuit. Ses yeux sombres et énigmatiques observaient Agatha avec un mélange d’amusement et d’intérêt.

- Je peux dire la même chose de toi.

- Oh, c'est dur. Agatha feignit l'outrance.

- La peste noire fait des ravages. Je suis très occupée ces temps-ci, dit Rio en avançant de quelques pas.

Mais toi...

- Oui, je t'ai ignoré les autres dernières fois.

Agatha sourit faiblement. Cette fois, je n’ai rien à voir avec ces morts.

Rio haussa un sourcil, un sourire mystérieux aux lèvres.

- Peut-être. Mais tu n'es jamais bien loin, n'est-ce pas ?

- Je prends ce qu'ils n'ont plus besoin. Elle s'adonnait à des rituels complexes, qu’elle pratiquait dans l'ombre. Préférant puiser dans l’énergie résiduelle des mourants, cette force invisible que la vie libérait et que personne ne réclamait.

Agatha se tourna entièrement vers elle, ressentant ce mélange familier d’appréhension et d’attraction. Rio la fascinait toujours autant, mais cette fois, quelque chose avait changé. Leurs échanges étaient moins méfiants, plus intimes. Elle ne pouvait nier cette étrange connexion.

Tu sembles vieillir si lentement, Agatha. Aucune ride. Penses-tu que la Mort a peur de toi ?

- Alors tu continues à me suivre, même si je n’ai rien fait, murmura Agatha en esquivant la question. Tentant de dissimuler son trouble.

Rio s’approcha encore, jusqu’à presque frôler Agatha.

- Tu es bien plus intéressante que n’importe quelle âme errante, Agatha. Tu as ce mélange de vie et de mort en toi, quelque chose qui m’appelle constamment. Peut-être qu’un jour, tu finiras par venir à moi...

Agatha sentait son souffle se mélanger au sien, son cœur battant plus fort à mesure que Rio se rapprochait. Un frisson parcourut son corps, un mélange de peur et de désir qu’elle ne comprenait pas entièrement.

- Et que veux-tu de moi, Rio ?  Souffla-t-elle, les yeux plongés dans ceux de la faucheuse.

Rio inclina légèrement la tête, un sourire énigmatique aux lèvres.

- Peut-être que je veux simplement te connaître. Après tout, nous avons du temps à tuer.

Un bout d'éternité devant nous.

Un silence lourd tomba entre elles, et Rio approcha doucement sa main de celle d’Agatha, sans la toucher. Le contact était presque palpable. Agatha, en dépit de ses réticences, se sentit attirée par ce geste.

Peut-être que tu finirais par m’apprécier, ma belle, murmura Rio avec un clin d'œil.

Agatha recula légèrement, perturbée par l’intensité de la scène, mais incapable de rompre le lien entre elles.

- Je n’ai pas l’intention de te suivre dans l’au-delà, pas encore, dit-elle avec un sourire nerveux.

Rio laissa échapper un petit rire doux. Je n’en attends pas tant, pas maintenant. Mais sache que je suis toujours là, Agatha. Et quand tu seras prête, quand tu auras fait face à ce que tu redoutes le plus, je serai là pour toi.