Chapitre 64 - Le courant (part 1)

41 3 8
                                    

Les oiseaux chantaient encore, bien que le temps se refroidissait, annonçant la tombée prochaine de la nuit.

Rio se tenait debout, les orteils enfoncés dans le sable, observant le mouvement régulier de l'eau, se retirant et revenant sans fin, avec une simplicité réconfortante.

À chaque vague qui s'écrasait contre le rivage, elle sentait l'appel de l'immensité.

Cette étendue d'eau aurait pu être un reflet parfait d'elle-même. L'infini. L'éternité. La Mort. Et pourtant...

Rio ne s'y identifiait pas.

Non, elle refusait de voir l'océan comme un miroir. Au contraire, elle cherchait à s'y effacer.

Rio ne voulait y voir sa propre grandeur, mais plutôt, l'aperçu , même infime, d'une chance d'échapper à son existence.

Une chance de devenir quelque chose de bien plus petit.

Elle se sentait... insignifiante.

Ici, elle pouvait enfin oublier l'ampleur de son existence, oublier la puissance de sa nature.

Ici, elle n'était rien, rien d'autre qu'une présence éphémère, se fondant dans le paysage. Un être aussi fragile et insaisissable que l'empreinte qu'elle laisserait sur cette plage en cette soirée.

Sur le sable, elle pouvait enfin lâcher prise. Les vagues ne s'inquiétant pas de sa présence. Ne la jugeant pas. Ne la craignant pas.

Il y avait quelque chose de profondément libérateur à se sentir insignifiante. C'était comme un soulagement après des siècles de responsabilité écrasante. Ici, loin des présences, loin des souffrances qu'elle imposait aux mortels.

Rio ferma les yeux. L'insignifiance était une forme de catharsis, une libération émotionnelle. Ici, en cet endroit, en cet instant, elle n'était pas la Mort.

Elle était Rio, celle qui était là pour celle qui l'accompagnait depuis maintenant quelques mois. Agatha Harkness.

La première fois que Rio avait vu Agatha, c'était dans la froideur impersonnelle d'un procès. Ce n'était pas son innocence ou sa culpabilité qui l'avait marquée.

Non, c'était quelque chose de plus insaisissable. Une force, brute et déstabilisante, qui semblait vibrer sous la surface de son être.

Agatha n'était pas comme les autres mortels qu'elle avait pu croiser au fil de son existence. Elle ne cherchait pas à se cacher et encore moins à nier ce qu'elle était. Elle portait ses fardeaux avec une sorte d'arrogance fascinante, comme si elle défiait le monde de la juger.

Cette nuit là, Rio l'avait vue se tenir droite, le menton levé, les yeux brillants d'une lueur qui oscillait entre la défiance et l'acceptation. Une lueur qui semblait crier ; "Faites ce que vous voulez, mais vous ne m'éteindrez pas comme ça."

C'était cette lumière, cette rage vivante dans son regard, qui avait attiré Rio comme un papillon vers une flamme.

Rio, qui avait passé des millénaires à être la fin de tout.

Ce n'était pas de l'innocence qu'elle voyait en Agatha, mais une forme de vérité brute. Une vérité qui ne s'excusait pas d'être là. Agatha était le genre de personne qui se débattait, pas pour échapper à la Mort mais, pour se prouver qu'elle méritait de vivre.

Elle était si imparfaite, si chaotique, si indomptable, et c'était précisément cela qui la rendait magnétique.

Peut-être que Rio, dans sa position d'éternelle spectatrice, avait eu envie, pour une fois, de toucher à cette flamme.

Agatha Harkness - Le procès de la sorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant