20 - Frayeurs nocturnes

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Point de vue de Maxime

Le retour de l'hôpital se fait en silence. Mon épaule me lance encore, malgré l'attelle qui la maintient en place, mais ce n'est pas le pire. Je ne cesse de me répéter que j'ai gâché la journée de Martin, que j'aurais dû faire plus attention. À chaque soubresaut de la voiture, la douleur revient comme un rappel de cette bourde.

— Merci, mec. Sérieusement... mais tu aurais dû rester avec les gars, c'était ton jour.

— Ça va, t'inquiète pas pour moi, me répond-il en me lançant un regard rassurant. Sans toi, ça n'aurait pas été la même. Puis, la journée est loin d'être finie. On va avoir droit à un atelier dragées et paillettes.

Je ris malgré moi, secouant la tête.

Nous arrivons finalement devant l'immeuble d'Alice et de Martin. Il sort en premier pour m'ouvrir la porte avec un sourire entendu. Je respire un instant avant d'entrer, encore un peu assommé par la douleur. Mais à peine ai-je franchi le seuil que je me retrouve enveloppé par des bras chauds et familier : Emmy. Elle s'accroche à moi si fort que je sens une pointe de douleur irradier jusqu'à mon épaule, me faisant légèrement sursauter.

— Pardon... je suis désolée, se recule-t-elle légèrement, les yeux plein d'inquiétude.

Je la serre malgré tout.

— Ce n'est rien, princesse.

Elle se resserre contre moi, les larmes aux yeux, et je sens tout le poids de son inquiétude.

— J'ai eu tellement peur, quand Alice m'a prévenue... m'avoue-t-elle d'une voix basse. Je me suis imaginé...

— Hey, chut... je suis là, ça va, la rassuré-je en pressant mon front contre le sien. C'est juste l'épaule qui a eu un petit choc.

Elle me fixe, et dans son regard, je vois un mélange d'anxiété et de soulagement qui me serre le cœur. Derrière nous, j'entends un raclement de gorge. Martin, les sourcils levés, nous observe d'un air interrogateur, tandis qu'Alice, elle, sourit comme si elle attendait ce moment depuis des mois.

Je crois que quelque chose m'échappe ici.

— On t'expliquera, promis, rit Alice en lui donnant un léger coup de coude.

Le silence retombe, et Martin éclate de rire en secouant la tête.

Nous passons le reste de l'après-midi ensemble, essayant de retrouver un peu de légèreté malgré les événements. Alice prend soin de ma pauvre épaule avec une gentillesse exagérée, tandis que Martin n'en finit pas de plaisanter sur ma « chute légendaire ». J'essaie de sourire et de faire bonne figure, mais mes pensées reviennent sans cesse à Emmy. Je sens son regard glisser vers moi à intervalles réguliers, comme pour vérifier que je suis bien là.

Au moment de partir, Alice m'attrape discrètement par le bras.

— Maxime... je pense qu'elle a eu une vraie frayeur. Elle fait la forte, mais ce n'était pas rien pour elle... Peut-être que tu devrais rester avec elle ce soir, si tu peux.

— Ne t'inquiète pas, je reste avec elle. C'est promis.

Alice me sourit, l'air rassuré, et je prends la main d'Emmy pour l'entraîner doucement vers l'ascenseur.

La soirée se déroule dans une atmosphère douce mais légèrement tendue. Emmy est plus silencieuse que d'habitude, comme si l'inquiétude de la journée la pesait encore. Je reste près d'elle, tentant de la rassurer par de simples gestes, jusqu'à ce qu'elle s'endorme enfin. Ses doigts restent enroulés autour des miens, même dans son sommeil, comme si elle craignait que je disparaisse.

Je suis sur le point de me laisser aller moi aussi, quand je l'entends gémir faiblement. Elle se retourne brusquement, et son visage crispé me glace le sang.

Elle murmure des mots que je distingue à peine, puis, soudain, un nom s'échappe de ses lèvres :

— Liam...

Elle se débat un instant, et je la prends doucement dans mes bras, caressant ses cheveux pour la ramener à la réalité. Ses paupières papillonnent, et quand elle ouvre les yeux, elle me regarde avec confusion. Je pose une main apaisante sur sa joue.

— Ça va... Je suis là. C'était juste un cauchemar.

Elle inspire profondément, les yeux humides, et se blottit contre moi sans un mot. Je sens son cœur battre fort contre le mien, un écho douloureux du passé qu'elle porte encore en elle. Je la serre contre moi, caressant doucement son bras.

— Tu veux m'en parler ? De Liam... demandé-je, hésitant, conscient de l'intensité de sa douleur.

Elle se redresse légèrement pour me regarder.

— On n'a jamais vraiment parlé de lui, repris-je doucement. Je ne veux rien forcer, mais je suis là.

Elle me sourit faiblement, se recalant dans mes bras. Je reprends mes petites caresses machinalement.

— Ok... Au tout départ, Liam était mon ami de vacances. Je l'ai rencontré quand j'avais six ou sept ans, quand j'étais en vacances chez mes grands-parents en Irlande.

— Parce que tu as des origines irlandaises ? demandé-je surpris.

— Oui... ma mère est irlandaise. Elle a vécu en France car mon grand-père y travaillait. Mes grands-parents sont retournés y vivre quand il est parti à la retraite.

Je hoche la tête. Je réalise à quel point, malgré le temps passé ensemble, nous avons encore tant de choses à découvrir l'un de l'autre.

Elle raconte alors comment leur relation a évolué quand elle est venue en Irlande pour ses études. Ils se sont retrouvés tous les deux à Dublin, sur les bancs de la fac. Une complicité intacte, nourrie d'années de souvenirs et d'étés partagés.

— Ça s'est fait naturellement, dit-elle en souriant pensive, ses yeux lointains, comme si elle le revoyait.

— Il était comment ?

— Drôle, protecteur. Un peu trop sûr de lui parfois. Mais c'était vraiment quelqu'un sur qui compter. Le genre de personne qui m'aurait suivie jusqu'au bout du monde.

— Ok.

— Quand il a eu son accident... On avait décidé de s'installer ensemble. Je l'attendais devant un appartement qu'on devait visiter, mais il n'est jamais arrivé. J'étais tellement en colère contre lui, qu'il ait oublié notre rendez-vous. J'ai fait la visite toute seule, et quand je suis rentrée sur le campus le soir, son frère m'attendait. Il m'a conduit directement à l'hôpital, et... tu connais la suite.

— Ouais... je souffle, me sentant à la fois impuissant et ému. Je comprends mieux.

Elle inspire profondément.

— Après ça, j'ai fini ma licence et je suis rentrée en France pour faire mon master. À Dublin, tout me rappelait ce que j'avais perdu, alors j'ai fui.

Je la serre un peu plus fort, laissant le silence prendre toute la place. Dans cette étreinte, les souvenirs et les douleurs se fondent, comme si, par ma simple présence, je pouvais alléger le poids qu'elle porte depuis si longtemps. Leurs histoires, à elle et Liam, sont encore là, vivantes. Mais, quelque part, elle m'a laissé entrer dans ce monde qu'elle protégeait si jalousement, et je sais que c'est une preuve de confiance de sa part, que je ne dois pas prendre à la légère.

Emmy lève les yeux vers moi, une ombre de sourire aux lèvres, malgré l'émotion encore vive dans son regard.

— Merci, murmure-t-elle simplement.

Je ne réponds pas, me contentant de caresser sa main, comme pour lui dire que je serai là, toujours, tant qu'elle aura besoin de moi. Cette promesse silencieuse entre nous vaut plus que mille mots, et alors qu'elle s'abandonne peu à peu au sommeil, je réalise combien elle est devenue importante pour moi.

Quand le hasard s'en mêleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant