CHAPITRE 20

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Je me contente de l'ignorer et de continuer à manger mes pâtes, le cœur battant malgré mon calme apparent. Est-ce qu'il va me dire qu'il sait ? Et est-ce qu'il sait que je sais ? Je me sens aussi désespérée par cette situation que par mon stress exagéré. Qu'est-ce que j'en ai à faire qu'il sache, après tout ? Je n'ai rien à cacher. Mike lui-même sait depuis le début ce que je prévois de faire. C'est mal me connaître s'il pensait que j'allais rester les bras croisés à obéir à ses ordres...

Je sors mon portable de ma poche pour m'occuper les mains. Tout en faisant semblant de pianoter dessus, je lance d'une voix détachée :

« - Je mange. Ça se voit pas ? »

Silence.

Dans ma vision périphérique, je l'aperçois toujours planté à la même place, aussi immobile et tendu qu'une statue. Je serre les dents. S'il veut me confronter, autant qu'il le fasse maintenant... Qu'on en finisse.

Je continue de manger, sans me presser, bouchée après bouchée. Ces pâtes sont délicieuses, quoiqu'un peu trop cuites. Je n'aurais pas dû les laisser autant de temps sur le... Et merde. Comme pour appuyer mon propos, la casserole remplie d'eau que je viens de laisser sur la plaque chauffante se met à déborder sur le plan de travail. Je me précipite vers elle et l'éteins à temps. Puis je m'adosse des deux mains au comptoir en secouant la tête, désespérée. Il n'y a que moi pour oublier une casserole remplie d'eau sur le gaz...

Alors que j'inspire profondément pour me calmer les nerfs, une présence derrière moi me fait tressaillir.

Mike.

Je ne l'ai même pas entendu traverser la cuisine – et elle est gigantesque, cette cuisine. Le tissu de son tee-shirt frôle mon dos à chacune de ses respirations, me provoquant des frissons dans la nuque. Je me retourne vivement et le fusille du regard. S'il compte me faire peur, c'est raté. Ça a plus le don de m'agacer qu'autre chose.

L'ampoule au-dessus de lui projette sa lumière sur son visage, renforçant ses traits durs et sa mâchoire anguleuse. Ses yeux verts me scrutent avec intensité, les sourcils légèrement froncés, comme s'il cherchait quelque chose à travers moi que je ne vois pas.

Un sentiment s'empare de mon être. Je baisse les yeux vers son torse, qui se soulève de plus en plus vite.

« - Si tu veux me demander quelque chose... vas-y. » je murmure, le souffle court.

Ses poings se serrent, faisant blanchir ses articulations. Mes jambes ne me tiennent plus, et j'ai l'impression que je pourrais m'écrouler d'une minute à l'autre. Et ce n'est certainement pas lui qui me rattraperait...

Je me soutiens donc au rebord du comptoir derrière moi et remonte mon regard vers celui de Mike. Il me dévisage toujours, la mâchoire tellement serrée qu'elle pourrait se briser. Malgré mon corps fébrile, trop près du sien, et l'angoisse qui me monte à la gorge, je lève le menton et redresse les épaules. Qu'est-ce qu'il attend, au juste ? Qu'il me crie dessus, me traite de tous les noms ou me dénonce à la Commission, je m'en fous... mais pourvu qu'il fasse quelque chose.

Ses yeux s'assombrissent lorsqu'il me demande, d'une voix si basse que je peine à l'entendre :

« - Tu vas partir ? »

Cette voix. Cette voix si fébrile et si vulnérable qui vient de s'adresser à moi. Cette voix qui contraste étonnamment avec les traits durs et crispés de ce visage. Pour une raison que j'ignore, je reste bouche bée. Incapable de prononcer le moindre mot, incapable de réfléchir correctement, incapable même de respirer. J'ai le souffle coupé.

Il n'y a plus que ses yeux verts. Ses yeux verts dont la lueur vient de changer. Une lueur infime, presque imperceptible, mais que je perçois quand même. De la tristesse ?

Une lueur de tristesse.

Ses yeux verts qui me contemplent avec tristesse. J'en suis tellement abasourdie que je souffle ce mot, sans même m'en rendre compte :

« - Oui. »

Je ne sais pas quoi dire d'autre. Il n'y a rien à dire d'autre. C'était prévu depuis le début. Il n'est rien pour moi et je ne suis rien pour lui. Je ne lui dois rien. Même pas ce oui que je viens de souffler avec hésitation, presque avec résignation. Qu'est-ce qui me prend ?

Le masque de Mike se fissure un instant, dévoilant des émotions contradictoires : de la surprise, de la perplexité... de la vulnérabilité. Je ne comprends pas.

Puis de la colère. Ses traits déformés par la colère. Je retiens ma respiration. J'ai peur, maintenant. Je ne le connais pas depuis très longtemps, mais je ne l'ai jamais vu dans un tel état. Il a toujours été ce garçon au visage dur et impassible. Mise à part ce jour. Ce jour où nous nous sommes rencontrés, et où il m'a appelée la lectrice. Ce jour qui me paraît tellement loin, à présent... J'ai l'impression d'avoir eu affaire à un autre Mike. Plus blagueur, plus souriant... Je ne m'en rends compte que maintenant. Et je ne comprends pas ce changement.

Son corps se détache soudain du mien, et dans un mouvement à la fois brusque et rageur, son bras balaie le vase qui était sur la table à manger. Ce dernier se fracasse sur le sol dans un bruit sourd, me faisant sursauter. Mike quitte précipitamment la pièce, me laissant là, totalement désemparée.







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