« - Salut, papa. »
« - Qu'est-ce que tu fais là ? »
Je désigne les glaces que je tiens à la main.
« - On avait faim, Jasmine et moi. »
Un long silence s'installe. Les battements de mon cœur se précipitent. J'ai l'impression qu'on entend que ça. Ce boum-boum incessant qui me vrille les tympans et qui menace d'exploser. Papa esquisse un mouvement dans ma direction. Je recule d'un pas, le souffle court.
Nous nous fixons un long moment, sans rien dire. Je tente de respirer lentement, de me calmer, de penser à tout sauf à ces bottes qui se trouvent derrière moi, tapies dans l'ombre, et à l'inconnu qui me fait face, et à qui j'aurais fait confiance les yeux fermés il y a à peine quelques heures. J'essaie de penser à Mike. Mike, qui se trouve encore là-bas, seul, et qui a risqué sa vie pour la mienne à de si nombreuses reprises... Je pense à Mike et je retrouve de la force, de la détermination.
Je lève le menton et me constitue un visage neutre, parfaitement impassible.
« - Tu avais quelque chose à me dire ? » je demande d'une voix posée.
Papa demeure immobile, silencieux. Après quelques secondes, sa tête se penche légèrement sur le côté.
« - Non, finit-il par dire. Non, rien. J'ai seulement entendu du bruit, et je suis venu voir ce que c'était. »
Je hoche la tête, le sourire aux lèvres.
« - Et bien comme tu peux le voir... ce n'était que moi. »
Il pousse un petit rire. Ce dernier résonne entre les murs froids de la cave et me fait frissonner. Je serre les poings, écrasant les glaces par la même occasion.
« - Bonne nuit, ma puce. » me lance-t-il en commençant à s'éloigner.
« - Bonne nuit ! » je m'exclame d'une voix enjouée.
Ses pas résonnent dans le couloir, puis j'entends une porte se refermer.
Alors je sens mes jambes se dérober sous moi. Je m'affale sur le sol gelé, une main plaquée sur ma bouche. Mon corps est pris de tremblements, de sanglots désespérés. Je ne veux pas y croire. Je ne veux pas y croire. Ce n'est pas possible. Les larmes dévalent sur mes joues, inarrêtables. Je sanglote de rage, de tristesse, de désespoir... Je ne veux pas y croire.
À l'autre bout de la cave, la paire de bottes noires semble me narguer, cruelle et narquoise. Je la regarde, et mes sanglots redoublent d'intensité. Pitié. Pitié, faites que ce ne soit pas lui. Je secoue la tête, prise de vertiges. Faites que ce ne soit pas lui. Faites que ce ne soit pas lui.
J'enfouis mon visage entre mes mains, prise d'une envie de fuir la réalité, cette réalité si injuste, si sévère et si douloureuse... Cette réalité qui m'a tant de fois fait perdre pied. Cette réalité qui n'a pas cessé une seule fois de me briser. Cette réalité qui continue de me blesser, encore et encore... Jusqu'à ce qu'un jour, je crains de ne plus pouvoir le supporter.
Faites que ce ne soit pas lui.
Faites que l'inconnu qui est entré par effraction chez Mike ne soit pas lui.
Pas mon propre père.
***
« - Enfin ! Je commençais à m'impatien... »
Jasmine s'interrompt en voyant mon visage livide et décomposé, où des traces de larmes doivent encore être visibles sur mes joues. Je contourne son lit, tête baissée, et me mets à fourrer des affaires dans mon sac à dos.
« - Mais... mais qu'est-ce que tu fais ? » me demande-t-elle, complètement perdue.
Je ne la regarde pas et me concentre sur ma tâche pour ne pas craquer. Mais ma sœur est aussi bornée que moi. Elle m'attrape les poignets, me forçant à m'immobiliser.
« - Parle-moi, Lou'... Qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce que tu... »
« - Rien, je la coupe en me dégageant brutalement. Laisse-moi, Jasmine. S'il te plaît. »
Je croise son regard et dois me mordre la lèvre de toutes mes forces pour ne pas éclater en sanglots. Je continue de m'affairer avec mon sac à dos, clignant des yeux pour chasser un début de larmes. Puis je me relève, les jambes vacillantes.
« - Tu comptes aller où, comme ça ? » s'enquit ma sœur d'une voix tremblante.
Je m'arrête devant la porte, la main serrée autour de la sangle de mon sac. Je me retourne lentement, la gorge nouée. Jasmine me contemple en secouant la tête, l'air dépassé. Une larme coule sur sa joue, et lorsqu'elle ouvre la bouche, sa voix se brise à ces mots :
« - On vient à peine de se retrouver. »
Je détourne le regard en ravalant les sanglots qui me compriment la gorge. Puis brusquement et d'un geste précipité, j'enlace ma sœur. Elle resserre mon étreinte, le corps secoué de pleurs qu'elle ne tente plus de retenir. J'enfouis mon visage dans ses cheveux et lui murmure à l'oreille, la voix chevrotante malgré moi :
« - Je reviens vite. Je te le promets. »
Puis avant de revenir sur ma décision ou risquer de tout lui avouer, je quitte la chambre à grands pas, les larmes coulant maintenant à flots sur mes joues.
***
L'air frais de la nuit me fouette le visage et fait redoubler mes larmes. Elles me brûlent les yeux, les joues, le visage... Je les essuie du dos de la main, en vain. Elles se font de plus en plus nombreuses, de plus en plus obstinées.
Je marche à toute vitesse, déterminée, même si je ne sais même pas où aller. Une seule pensée occupe mon esprit. Douloureuse, cruelle. Papa est l'inconnu aux bottes noires. Plus je me répète ces mots, plus ils semblent sonner comme une évidence, une certitude.
Papa est l'inconnu aux bottes noires.
Une partie de moi ne veut pas y croire, refuse d'y croire. Elle se dit que jamais papa n'aurait fait ça. Elle se dit que je le connais depuis toujours, et que donc je sais ce qu'il y a de bon et de mauvais en lui. Et il n'y a presque que du bon en lui. Je ravale mes larmes, les dents serrées. Il n'y avait que du bon en lui.
Àmesure que j'accélère le pas, d'autres pensées se joignent auxautres. Pourquoi aurait-il fait ça ? Pourquoi être entré pareffraction chez Mike ? Et puis comment savait-il où nous noustrouvions ? Savait-il depuis le début que j'étais avec Mike ? Oupeut-être qu'il ne le savait pas et qu'il comptait lui faire dumal, à lui...
Je me mets à courir, profitant du vent glacé pour sécher mes larmes. Je n'y comprends plus rien. Je n'y comprends plus rien. Pour la première fois de ma vie, j'en viens à haïr tous ceux qui m'entourent. J'en viens à haïr Jasmine et sa naïveté, maman et ses crises de colère qui m'ont tant pourri la vie, Mike pour avoir refusé de tout me dire... et papa. Pour la première fois de ma vie, je le hais. Pour m'avoir menti, pour m'avoir caché sa petite escapade, pour ne pas avoir fait confiance à sa propre fille.
J'ai l'impression de ne plus pouvoir faire confiance à personne. Et ça me rend dingue.
Je marque une pause, le cœur au bord des lèvres. Autour de moi, les maisons sont presque toutes éteintes. Seules quelques lumières demeurent visibles à travers les fenêtres. Des silhouettes se déplacent d'une pièce à l'autre. J'aperçois leurs ombres se dessiner sur les murs.
Je les observe en silence, fixant mon attention sur elles et ne pensant à rien d'autre. Il faut que je me calme. Il faut que je respire. Le poids qui pesait sur ma poitrine depuis tout ce temps s'allège un peu. Le visage d'une personne me vient à l'esprit. Je fronce les sourcils, surprise. Je n'aurais jamais pensé me tourner vers elle dans ce genre de situation. Mais après tout... ce n'est peut-être pas une si mauvaise idée. Je la connais certes très mal, mais c'est la seule personne qui ne m'ait pas encore menti et qui me semble pour l'instant la plus franche de mon entourage. Et je ne vois pas d'autre solution. Je suis bloquée.
Je me redresse, les poings serrés.
Je compte bien trouver les réponses qui me manquent. Par tous les moyens.
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| TIME TRAVELERS | tome 1
Paranormal𝐸𝑡 𝑠𝑖 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑎𝑣𝑖𝑒𝑧 𝑙𝑎 𝑝𝑜𝑠𝑠𝑖𝑏𝑖𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒 𝑟𝑒𝑚𝑜𝑛𝑡𝑒𝑟 𝑙𝑒 𝑐𝑜𝑢𝑟𝑠 𝑑𝑢 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠... 𝑙𝑒 𝑓𝑒𝑟𝑖𝑒𝑧-𝑣𝑜𝑢𝑠 ? Depuis un an, Louna ne vit plus. Tourmentée par ses choix passés et submergée par les regrets, elle pren...
