CHAPITRE 23

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Je me réveille en sursaut, le front et le dos moites de sueur. Je garde un instant les yeux fermés, attendant que la sensation de vertige se dissipe, puis je découvre la pièce dans laquelle je me trouve. Enfin... pièce est un grand mot. Ça a plutôt l'air d'être une sorte de tente, si j'en crois les tissus rugueux qui m'encerclent et le drôle de paillasson sur lequel je suis couchée.

Je prends le temps de regarder ce qui se trouve autour de moi, le cœur battant. Les braises d'un feu éteint, des peaux et des fourrures d'animaux, un ramassis de casseroles et de couverts en tout genre... Ma respiration s'accélère. Mais où est-ce que je suis, bordel ? Je me redresse malgré les crampes qui me parcourent les jambes et tends l'oreille. J'entends le sifflement régulier du vent, puis l'écho de quelques voix.

Lentement et le plus silencieusement possible, je m'avance entre les fourrures d'animaux et les débris qui jonchent le sol. C'est seulement en sentant la matière rugueuse sous mes pieds que je remarque qu'on m'a enlevé mes chaussures. Je continue d'avancer, l'oreille aux aguets et le cœur prêt à exploser.

L'ouverture de la tente est large et ovale, seulement zippée par une sorte de fermeture éclair. J'avale ma salive et colle l'oreille contre cette dernière. Les mêmes voix que j'ai entendu il y a à peine quelques secondes. Sauf que cette fois-ci, elles semblent se rapprocher de plus en plus. J'ai beau essayer de comprendre ce qu'elles disent, tout me revient en un flot incompréhensible de paroles. Ces inconnus ne semblent pas parler la même langue que moi. Bon sang mais où est-ce que je viens d'atterrir ? Je m'éloigne précipitamment de l'entrée et jette des regards frénétiques autour de moi, à la recherche d'une arme improvisée. Je ne sais pas qui sont ces gens, pourquoi m'ont-ils ramenée ici et qu'est-ce qu'ils me veulent. Ils peuvent tout aussi bien être des alliés que des ennemis. Mais dans cet espace-temps où je viens d'atterrir, je préfère me préparer à tout.

J'attrape une casserole rouillée et la brandis des deux mains. Je me place au milieu de la tente, devant l'entrée, à la fois déterminée et complètement flippée. Les voix se rapprochent dangereusement, me faisant penser à un compte à rebours maudit. Mon cœur bat si fort dans ma poitrine que je parviens presque à l'entendre à travers mes oreilles.

Boum boum. Boum boum.

Un charabia de paroles me parvient derrière l'entrée. Des voix d'hommes. Rauques et puissantes. Ce sont des voix d'hommes.

Boum boum. Boum boum.

Un court silence, durant lequel j'entends le sifflement du vent. Puis la fermeture éclair se dézippe lentement, semblant prolonger son bruit jusqu'à l'infini. Mon corps entier tremble, mais je ne faiblis pas.

Boum boum. Boum boum.

Mes mains raffermissent leur prise sur le manche de la casserole, mes pieds s'ancrent dans le sol, les battements de mon cœur s'accélèrent toujours plus et...

L'inévitable finit par arriver.

Un pied se faufile par l'entrée, puis le reste du corps suit. La première chose qui me surprend est le masque qui lui dévore la moitié du visage, ne laissant apparaître que ses yeux verts, qui me fixent avec impassibilité. L'inconnu ne porte qu'un drôle d'accoutrement, mêlé de fourrures et de peaux de bêtes. L'odeur âcre qui se dégage de sa personne et la saleté de ses cheveux noirs, rasés de près, me font me demander depuis combien de temps il ne s'est pas lavé. Un bon bout de temps, j'ai l'impression.

Après m'avoir fixée un long moment, l'homme me désigne l'entrée de la tente d'un geste brusque. Je m'immobilise, ma casserole toujours braquée devant moi, et fronce les sourcils. S'il croit vraiment que je vais le suivre, il se met le doigt dans...

Un bruit de ferraille interrompt le cours de mes pensées, puis le silence. Sans même que je ne m'y attende, l'inconnu vient de me faire lâcher la casserole au sol. Je baisse les yeux vers mes bras. Ils tremblent tous les deux de façon anormale, et un fourmillement douloureux les parcourent. La panique s'empare de moi. Je dévisage l'homme en face de moi, les yeux écarquillés. C'est lui qui vient de me faire ça ?

« - Avance. »

Il parle donc ma langue. Sa voix, qui semble venir du plus profond de ses entrailles, me donne des frissons dans le dos. J'ai bien compris que je n'avais pas mon mot à dire, et de toute façon, je crois que je n'en ai même plus envie. Qui serait assez fou pour rivaliser avec un colosse qui fait deux fois ma taille et qui semble posséder des pouvoirs surnaturels ? Certainement pas moi.

C'est donc avec les mains levés en l'air que je passe devant l'inconnu et me faufile par l'entrée de la tente. Je plisse les yeux, éblouie par la lumière du jour. J'ai à peine le temps d'habituer ma vue à la luminosité que de larges mains m'empoignent par les bras. Je grimace sous leur prise puissante. Mes jambes me lancent affreusement, si bien que ces géants doivent littéralement me traîner sur une dizaine de mètres.

Puis ils me lâchent brusquement, sans prévenir. Je tangue en avant, les yeux encore mi-clos par le soleil, et me rééquilibre tant bien que mal.

« - Bonjour. »

Je plisse les yeux en direction de la voix. Une silhouette, mince et élancée, se dessine peu à peu sous les reflets du soleil. Un visage aux traits fins, de grands yeux bleus, une longue chevelure blonde tressée... La première chose qui me saute au visage est la beauté presque surréaliste de la femme qui se tient devant moi.

Appuyée sur une canne aux symboles étranges, elle me scrute avec un sourire bienveillant. Je parcours du regard les familles et les tipis qui se dressent derrière elle. Un peuple. Je reporte mon attention sur l'inconnue, qui semble dominer tous les autres malgré sa taille moyenne : le dos droit et le menton levé, elle paraît surpasser tout ce qui l'entoure. Une reine. Ou quelque chose qui s'en rapproche. En tout cas, pour l'instant, tout me mène à croire que c'est elle qui tire les ficelles et qui donne les ordres.

« - Bonjour. » me répète-t-elle, le sourire toujours aux lèvres.

Sa voix, tout comme son apparence, a quelque chose de majestueux, voire presque divin. Elle semble parler la même langue que moi, même si son accent, très prononcé, trahit ses origines étrangères. Comme l'homme dans la tente.

Je hoche légèrement la tête en signe de politesse.

« - Bonjour, madame. »

Je ne sais pas comment je devrais l'appeler, mais pour l'instant, je préfère ne prendre aucun risque. Madame c'est poli, respectueux et ça ne porte pas à confusion. Car c'est une femme, après tout. Oh et puis pourquoi je m'embête avec ça ? Il faut que je trouve un moyen de m'enfuir d'ici. C'est tout ce qui devrait m'inquiéter pour l'instant. Je ne sais pas qui sont ces gens, et même si leur reine m'a l'air d'être une personne bienveillante, on ne peut pas se fier aux apparences. La beauté peut cacher de bien sombres secrets.

Je jette un coup d'œil autour de moi : des hommes musclés et tous vêtus de peaux d'animaux m'encerclent comme si je risquais de m'enfuir. Leur regard reflète la même impassibilité et dureté, contrastant étonnamment avec la chaleur et la vivacité de celui de leur reine. C'est en me massant l'épaule que je remarque qu'on m'a aussi enlevé mon sac à dos. Si j'étais leur invitée ou même s'ils ne se méfiaient pas de moi, ils m'auraient laissé ce sac à dos. Et mes chaussures.

Après un dernier sourire rayonnant, la reine se tourne vers un des hommes postés à sa droite et lui adresse un hochement de tête entendu. Ce dernier s'empresse de s'éloigner vers un tipi, ses épaules ondulant sous les peaux de bêtes. La reine se tourne vers moi. Son sourire s'élargit lorsqu'elle prononce ces mots, d'une voix si douce et si chaleureuse que je ne suis pas sûre d'avoir bien entendu :

« - Je pense que nous devrions avoir une petite conversation entre femmes, Louna. »

Avant même que je ne réponde, des mains empoignent mes bras et un foulard me recouvre les yeux. Tout devient noir. Je n'entends plus que le rire de la femme, comme un écho qui m'accompagne dans l'obscurité.

Et voilà. J'en étais sûre.

Je suis bel et bien leur prisonnière. 






Time Travelers - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant