𝑼𝒏 𝒂𝒏 𝒑𝒍𝒖𝒔 𝒕𝒐̂𝒕

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« - Nous sommes réunis en ce mardi 09 octobre pour rendre nos hommages et faire nos adieux à Arthur Torres, qui nous a quittés trop tôt. »

Autour de moi, le paysage se résume à un triste brouillard mêlé de pluie. Une pluie fine. Mais une pluie qui s'infiltre dans nos habits et qui nous gèle les os. Je me tiens sous mon parapluie noir, comme toutes les personnes présentes ici. Une marée de parapluies noirs. Une marée de tristesse et de désespoir.

J'écoute d'une oreille distraite les mots qu'est en train de prononcer le prêtre. Sa voix grave me paraît lointaine, très lointaine, à travers le clapotis de la pluie et les sanglots étouffés des proches d'Arthur. Je garde les yeux fixés sur son cercueil, incapable de détourner le regard.

« - Maintenant, je vais lire un verset sacré de la bible... »

Le prêtre entame sa lecture, sa voix forte tentant de se faire entendre à travers la pluie. J'observe d'un regard vide les parents d'Arthur, de l'autre côté du cercueil. Monsieur Torres tient sa femme dans ses bras, comme la dernière fois que je les ai vus, sur le pas de la porte. Il la soutient du mieux qu'il peut, serrant les dents pour retenir ses propres sanglots. Madame Torres, quant à elle, ne peut camoufler son désespoir. Ses mains pâles s'accrochent au manteau noir de son mari, comme s'il était sa bouée de sauvetage. Ce qui est sans doute le cas.

Je contemple leurs visages défaits, leurs regards fatigués et déjà vides. Je les contemple et je me dis qu'à cet instant, c'est aussi un peu d'eux qui se trouve à l'intérieur du cercueil, aux côtés de leur fils. C'est un peu de moi aussi. Plus que je ne le voudrais.

« - Puisse l'âme d'Arthur trouver la paix et le repos éternel. »

Après ces mots, un lourd silence s'abat sur nous. Comme si la dure réalité, la dure fatalité se rappelait à nous. Arthur est mort. Arthur est mort et plus rien ne sera comme avant.

Après une prière silencieuse, le prêtre se tourne vers les parents d'Arthur.

« - Je vais maintenant laisser la parole aux parents du disparu, Monsieur et Madame Torres. »

Il s'avance vers eux et leur serre la main, semblant sincèrement compatir à leur chagrin. Monsieur et Madame Torres se dirigent vers le pupitre qui a été dressé pour l'occasion, en face du cercueil de leur fils, qui n'a pas encore été mis en terre. La silhouette de Madame Torres ne se résume qu'à une ombre recroquevillée sur elle-même. Ses mains s'accrochent au pupitre comme si sa vie en dépendait, tandis que son mari s'est reculé d'un pas, les yeux rivés sur elle au cas où elle s'écroulerait.

Après un long silence ponctué par des soupirs tremblants, la mère d'Arthur prend enfin la parole. Sa voix n'est qu'un murmure, perdu dans le vent.

« - J'ai prié... Dieu sait à quel point j'ai prié. »

Les articulations de ses mains blanchissent à mesure que ses yeux se perdent en contrebas, sur le cercueil de son fils.

« - J'ai cherché, mais je ne comprends pas... souffle-t-elle en secouant la tête, anéantie. Je ne comprends vraiment pas... »

Elle s'agrippe au pupitre, les larmes coulant à flots sur ses joues. Parmi la foule, des sanglots se font entendre.

« - Pourquoi... ? Seigneur... Pourquoi me l'as-tu pris ? Je ne comprends pas. Je ne comprends vraiment pas... »

Son mari se précipite vers elle lorsqu'elle s'apprête à tomber. Il la rattrape par la taille et la serre dans ses bras, les joues mouillées de larmes. Ils restent longtemps enlacés, solitaires et unis dans la douleur. Une larme vient de couler sur ma joue, sans que je ne m'en aperçoive.

Après de longues minutes, Monsieur Torres s'avance vers le pupitre, sa femme toujours serrée contre lui. Il se racle la gorge et parcourt du regard la foule, les yeux rouges.

« - Mon fils était quelqu'un de bien, commence-t-il, un sourire tremblant au visage. Il était même plus que ça. Il était... Il était... »

Il marque une pause, le temps de fermer les yeux et de ravaler ses larmes.

« - Il était mon fils, mais pas seulement... poursuit-il le regard perdu au loin. Il était meilleur que moi. Il était tout ce que je n'ai jamais pu être. Il était ma fierté, mon fiston. »

Je retiens ma respiration, consciente à quel point ces paroles doivent être dures à prononcer pour Monsieur Torres. Non pas parce qu'il ne les pense pas, mais parce qu'il n'a jamais su ouvrir son cœur de cette façon. Et il aura fallu que son fils soit six pieds sous terre pour qu'il finisse par le faire.

Une larme coule sur sa joue. Puis une autre, et encore une autre. Elles ne s'arrêtent pas. Elles semblent vouloir durer pour toujours. Elles sont les regrets, les remords et la douleur d'avoir perdu un fils. La chair de sa chair. Le sang de son sang. Comme si on vous arrachait une partie de vous-même. Comme si ce qui constituait votre seule raison de vivre était mis à la poubelle, comme ça, d'un coup. Comment vivre après ça ? Comment trouver la force de se lever chaque jour ? Comment ne pas s'écrouler ?

Ces pensées m'anéantissent lorsque je me rends compte qu'elles ne parlent pas seulement des parents d'Arthur, mais de moi aussi.

« - Mon fiston... Mon fiston. »

Monsieur Torres sanglote sur le pupitre, et c'est maintenant au tour de sa femme de le soutenir.

« - Je suis désolé... je suis désolé... » répète-t-il en boucle.

Mais je ne sais pas s'il s'adresse aux personnes qui le regardent, ou à son fils.







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