➳ Chapitre 4

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Cette soirée fut une des plus mémorables de toute ma vie. Je sentais qu'une amitié naissait entre nous et je m'en réjouissais déjà. Si j'avais su, je ne me serais pas autant inquiétée avant de venir ! Les semaines suivantes passèrent rapidement, rythmée par les cours, les rires et les premiers contrôles. Qu'est-ce que j'étais heureuse d'être à Sainte-Cécile ! Les cours de musique étaient géniaux, à la fois stressants et intéressants. Stressants car tout le monde chantait au moins une fois par cours, et intéressants car nous étudiions en détail des œuvres telles que Tristesse de Chopin, que M.Ginsique m'avait apprise à jouer au piano.

   Un vendredi soir, alors que j'avais demandé à Alice et les autres de partir devant, j'étais allée le voir. Car une question me taraudait l'esprit : pourquoi m'avait-on répété toute mon enfance, tout mon collège, et ce même jusqu'au dernier jour, que je ne savais pas poser ma voix, et que lui ne semblait pas l'avoir remarqué ?

— Car tu as une voix particulière, et puis, peut-être qu'effectivement tu avais des difficultés à la poser, avait-il répondu, mais je n'ai jamais rien détecté, même à l'audition ! Tu dis qu'on te l'a dit jusqu'à l'an dernier ?

— Oui, avais-je acquiescé d'une voix tremblante, mon prof' de musique m'a même avoué qu'il ne comprenait pas comment j'ai pu être acceptée ici...

— Oh, avait simplement laissé échapper M.Ginsique.

Il était resté pensif un petit moment avant de finalement déclarer :

— Tu te sens bien, ici, n'est-ce pas ? À ta place ?

J'avais hoché vivement la tête.

— Tu te sens à l'aise, entourée de personnes comme toi. Tu n'as pas l'impression de dénoter, je me trompe ?

J'avais réfuté de la tête.

— Et ici, quand tu chantes, tu es dans ton monde à toi, celui que tu façonnes, non ?

J'avais opiné de la tête.

— De plus, tu t'en fiches des autres, ici ? Tu sais qu'ils ne vont pas te juger ou se moquer de toi, car ils sont comme toi, avec des parcours semblables au tien.

J'avais répondu par l'affirmative.

— Eh bien voilà, depuis que tu es ici, tu te libères. Tu lâches prise, c'est aussi simple que ça.

     J'avais ouvert la bouche, me rendant compte qu'effectivement, depuis que j'étais ici, je voguais librement, ignorant royalement le regard des autres.

— Merci Monsieur ! m'étais-je alors exclamée, un grand sourire aux lèvres

— La peur du regard d'autrui crispe et bloque l'envol, Mademoiselle Dray, avait-il simplement dit.

   Je l'avais remercié encore une fois, commençant alors à remonter en arrière pour me rendre compte qu'il avait totalement raison. L'an dernier, en classe, quand il s'agissait de chanter, j'étais si nerveuse que la cage dans ma gorge m'empêchait de chanter, de respirer.

— J'étais comme toi, m'avait alors avoué M. Ginsique, et c'est pour ça que j'ai voulu être professeur. Pour aider les élèves à prendre confiance en eux et à s'envoler. Et toi, que veux-tu faire ?

— De la musique, « de la musique avant toute chose », avais-je cité

— On aime Verlaine à ce que je vois ! Allez, va retrouver Alice, m'avait-il congédiée

Alors que j'étais à la porte, je m'étais tournée vers lui :

— Merci de m'avoir appris à jouer un peu de piano, Monsieur.

La musique avant tout (1) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant