Avez-vous vu ma sœur?

112 25 7
                                    

Le Vendredi était l'une des journées de cours les plus pénibles. Alors que les autres jours mon emploi du temps me dégageait une ou deux heures de trous dans la journée, ce jour-là j'avais cours de huit heures à dix-huit heures sans interruptions, hormis bien sûr les récréations et le temps du midi.

Cette accumulation de cours faisait que ce jour-là il m'était difficile de me maintenir éveillé sur la durée (surtout que les professeurs étaient loin de tous être passionnants), et ce même le midi. D'autant que je ressentais l'humiliation de deux jours auparavant. Je ne l'avais toujours pas digéré, je me sentais honteux. Ma fourchette creusait des sillons dans la purée guidée par mes pensées noires. J'avais croisé Jonathan dans les couloirs, lui qui était avec sa bande ouvert et sociable se retrouvait presque seul et le visage fermé au lycée. Le voir dans cet état m'avais rendu heureux, même si je m'en veux un peu, comme si cette vision de cette loque marginalisée avait su compenser l'humiliation de Mercredi.

Le self avait été refait il y a deux ou trois années. Avant, il ressemblait de l'intérieur à une cantine de prison avec des murs ternes et gris. Mais le conseil général avait, pour une fois, débloqué des fonds afin de le rénové. Le sol fut en PVC bruns, les murs peints d'un blanc propre et les vitres étaient ornées d'autocollants pour vitre en forme de ronds de couleurs qui, en plus de rendre le self plus beau vu de l'extérieure, avait pour effet de colorer l'intérieur, la lumière filtrant à travers prenant la couleur des autocollants.

Je regardais ma main bleuie par un rayon de soleil filtré par un autocollant de la même couleur quand le portable installé confortablement dans ma poche se mit à vibrer. Je le consultai rapidement. C'était un appel de mon père. Je fis signe à Mathieu et Antoine de ne pas me poser de question et collai l'appareil à mon oreille.

-Benoît? commença-t-il.

-Que se passe-t-il?

-Sais-tu où est ta sœur?

L'anxiété dans sa voix était palpable. Je sentis mes poils de nuque se dresser.

-Bien sûr que non, je ne suis pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec elle... Pourquoi tu me demande ça?

-Le lycée vient de m'appeler, Chloé ne s'est pas présentée en cours ce matin.

Je restai sans voix face à ses mots. Une colère sourde commença à monter en moi. La veille déjà, elle n'était pas rentrée à la maison. Mes parents s'étaient contentés de lui laisser un message sur son répondeur, même s'ils m'avaient dit avoir l'intention de la sermonner quand elle rentrerait. Cependant, nous avions pensé qu'elle se rendrait en cours comme d'habitude, sachant qu'elle emportait toujours son sac lorsqu'elle trainait jusqu'à tard le soir avec sa bande. En parlant de ça...ma sœur ne pouvait pas négliger ses études pour trainer avec eux! Pourquoi ne m'avait-elle pas écouté? Lâcheté ou pas, j'étais déterminé à la ramener sur le droit chemin.

-Tu l'as appelé?

-Evidemment! me répond mon père, agacé. Mais je tombe sur son répondeur.

-Bon, si je la vois je lui dis de te passer un coup de fil, je rentre quand je peux ce soir.

Je raccrochai rapidement.

-Alors? s'enquit Mathieu.

-Rien, juste mon père qui a perdu son portefeuille, inventais-je précipitamment.

Je préférais qu'ils ignorent l'absence de ma sœur. C'était quelque chose, d'assez humiliant d'avoir une sœur s'éloignant chaque jour du droit chemin, inutile d'en rajouter. Et puis ça ne les concernait pas.

-Tu es allé à la gendarmerie pour signaler sa disparition? demandai-je, anxieux, quelquea heures plus tard, à mon père.

-Bien évidemment, répondit mon père d'une voix sèche comme s'il s'agissait d'une évidence.

Vin de luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant