La Pègre-aux-choux

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J'avais redouté qu'il ne vienne pas. Après tout il aurait très bien pus renoncer au dernier moment, me pensant incapable d'exécuter les menaces proférées plus tôt. Sa présence en cette fraîche matinée montrait que j'avais réussi à le faire fléchir, ce pouvoir sur lui me ravit.

La voiture m'attendait, comme prévu, à quelques rues de chez moi. Sur le siège conducteur, M. Corman avait la tête posé contre le dossier, les yeux légèrement fermés.

A ma vue, il se redressa et tourna la clef de contact.

Rassuré, je resserrai mon gilet pour me protéger du froid.

-Il est encore temps de renoncer, me dit mon professeur quand je fus installé.

-Si je ne pensais pas vous connaître, j'irais imaginer que vous me cachiez des choses.

Il se renfrogna et fit mine de se concentrer sur le démarrage du véhicule.

-Ce serait une erreur de jugement.

La voiture démarra. Un frisson d'adrénaline traversa mon corps comme un enfant faisant l'école buissonnière... ce que j'étais après tout.

Le village de la Pègre-aux-Choux se situait à un peu moins de deux heures de Vendôme. Une heure et cinquante-six minutes d'après le GPS de M. Corman. Autant vous dire que le trajet s'annonçait long. Utilisant le peu de 4G dont je disposais, je tapais tout ce qui me venait à l'esprit dans la barre de recherche. Vous savez qu'en Chine les toilettes publiques n'ont pas de portes?

A dix minutes environ de notre destination, M. Corman brisa le silence dans lequel il s'était muré depuis notre départ:

-Il y a quelque chose que je ne t'ai pas dit.

-j'en étais sûre, marmonnais-je.

-La Pègre aux choux fait partie d'une communauté de communes où réside une communauté de loup garou.

Je m'étais attendu à ce qu'il me dise savoir depuis longtemps où elle se trouvait. Cette révélation me décontenança légèrement.

-Une colonie? m'enquis-je, me souvenant vaguement des cours dispensés par mon père.

-En quelque sorte. Une vraie colonie occupe des terres privatisées et aucun humain n'y habite. Aux Etats-Unis, elles s'étendent sur des centaines d'hectares. Les Américains rient bien de nous avec nos petites colonies.

-Il y a beaucoup de loups-garous?

- Dans la Sarthe? Ça se dépeuple de plus en plus. C'est comme partout, les jeunes partent pour aller faire leurs études en ville. Et comme la vie citadine leur est plus attrayante, ils y restent. Certains reviennent quand ils ont des enfants, des jeunes loups bien sûr, pour qu'ils grandissent en "communautés", mais vu qu'il n'y a que des personnes d'un certain âge...

-Ils partent, conclus-je, un bon cercle vicieux.

-T'as tout compri... tes parents ne t'en ont jamais parlé?

-Si, mais... pourquoi me dire ça maintenant?

-Tu l'aurais appris à un moment ou à un autre, autant que ce soit moi qui te le dise.

Je sentais son explication incomplète. Il me cachait des choses mais quoi? Je préférais

-Vous êtes capables de les reconnaître? Je veux dire, les autres loups-garous?

-Avec l'expérience j'ai appris à identifier des signes. Lorsque l'on discute on se reconnait. Je ne saurais pas t'expliquer comment c'est... oui c'est à force de pratiquer. Mais c'est rare d'en rencontrer.

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