Plafond et toilettes

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-Benoît! Les Rougeard sont une famille respectable!

C'était l'heure du repas. Mes parents et moi étions attablés dans la salle à manger, devant un bon rôti de bœuf. D'ordinaire ça m'aurait plus, l'odeur de la viande grillée et du beurre sur les haricots a quelque chose de rassurant. Mais je ne pouvais oublier ma discussion avec la bande à Chloé quelques heures auparavant. J'en parlais avec mes parents, ayant l'idée de les convaincre sur les Rougeard.

-Tu es sûr que tu ne veux pas aller voir? Les gens ne sont pas forcément ce qu'on croit... j'en ai fait l'expérience ces dernières semaines. Maman, toi tu dois le savoir à la BSIS!

-Je suis du même avis que ton père. Tu as raison, il y a longtemps la famille Rougeard a fait des choses innommables mais c'était il y a plus d'un siècle.

-Et si jamais...

-Ecoutes, continua ma mère visiblement lasse. De toute façon pour lancer une procédure contre eux et des investigations au nom de la BSIS il faut remplir des conditions très précises. On n'accuse pas les gens sans preuves. Quand bien même nous entamions les démarches, celle-ci prendraient plusieurs semaines.

-Mais il n'y a pas besoin de preuves! Ca ne coute rien de faire une recherche.

-Ca devient une obsession! s'énerva mon père. On sait que la disparition de ta sœur te fait souffrir, comme nous tous! Mais tu te rends malade. Tu as bientôt le BAC à passer. Laisse-nous régler les choses importantes, tu es encore jeune. Ces affaires appartiennent aux adultes à ceux qui ont de l'expérience!

Je me levais avec une certaine lenteur de mon siège.

-Vous ne voulez pas la retrouver... murmurais-je stupéfaits. Qu'est-ce que vous me cachez?

-Tu es ridicule Benoît! s'indigna mon père.

-C'est moi qui suis ridicule? hurlais-je. C'est vous qui êtes en train d'abandonner. Alors elle est où? .

Mon père se leva en tapant du poing sur la table.

-Tu vas descendre d'un ton! Ce n'est pas une façon de parler à ses parents!

-Je n'ai pas à parler avec vous.

Pour la première, et sans doute la dernière fois, de ma vie, je tournai le dos à mon père et me dirigeai vers le hall d'entrée.

-Benoît! Je t'interdis de partir! Reviens immédiatement! m'ordonna-t-il.

Je ne l'écoutai pas et claquai la porte derrière moi.

Mes pas me menèrent jusqu'au garage, mes mains décrochèrent un vélo que mon corps enfourcha. Tout ça n'avait duré qu'une poignée de secondes et je filai en direction de la place Saint-Martin.

Effectuer un effort, même moindre m'aidait à évacuer l'adrénaline provoquée par cette confrontation avec mon père, tout me paraissait encore plus net qu'à l'accoutumé. Mon esprit me renvoyait encore le regard de mon père, son ton qui obligeait à la soumission. Mes remords laissèrent bientôt place à une colère absolue envers mes parents. Je revoyais ma mère, dont le métier était d'aider ceux de notre race, refuser d'aider sa propre fille et mon père surtout, lui qui m'empêchait de partir chercher ma sœur, qui ne voulait pas aller chez les Rougeard ne serait-ce que pour vérifier... d'ailleurs si eux refusent d'aller secourir ma sœur, je le ferais.

Il était 21h30 lorsque j'arrivai place Saint-Martin. Il faisait nuit et très peu de personne marchait encore dans les rues de la ville. J'adossai mon vélo contre le beffroi, avec rien pour l'attacher faute d'antivol.

Le bar était encore ouvert. Sur le panneau devant la terrasse il était annoncé que celui-ci fermait à 22h en hiver sauf en cas de match de foot ou rugby important. Une chance pour moi.

Vin de luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant