J'ai ouvert les yeux doucement. Il fait toujours nuit. Je me suis retournée dans mon lit. Mais j'ai aussitôt sursauté, en face de moi se trouve mon double.
« Qu'est-ce que tu fais là ? Si tu avais quelque chose à me dire tu aurais pu le faire tout à l'heure, observais-je en me levant.
-C'est vrai, mais le monde des rêves me permet plus de choses que la réalité. C'est pourquoi je voulais discuter ici, répondit-elle en m'imitant. »
Étrangement elle n'a pas l'air aussi méchante que d'habitude. Ce qui appuie mon hypothèse...
« Dis-moi, étant l'originale, tu dois savoir ce qui t'effraye le plus, non ?
-Pourquoi tu me demandes ça ? questionnais-je soupçonneuse.
-Je veux juste savoir si tu en connais autant sur toi que moi. Tu sais quand on est petit, on a peur des monstres sous notre lit ou dans notre placard...
-Ou veux-tu en venir ? Qu'on en finisse...
-Et bien, je me demandais jusqu'à quel point tu serais capable de résister face à ces monstres que tu crains tant, m'exposa-t-elle en souriant, mauvaise. »
Je le sens pas.
J'ai entendu la porte de mon armoire grincer, me poussant à me tourner vers elle. Mais bizarrement ce ne sont pas les portes de ma penderie que j'ai vu, mais trois porte chacune arborant un cadre avec un représentation de ce qu'elle renfermait je suppose. La première affichait une cour de récréation, la deuxième une des rares photos de famille où mon père figurait et la dernière avait un cadre totalement vide.
« Alors ? Laquelle vas-tu ouvrir en premier ? me demanda ma « jumelle maléfique ».
-Je suppose que tu vas m'accompagner... dis-je en soufflant d'exaspération. »
Je commence à me demander si son but n'est pas simplement de me faire tourner en bourrique. Mais voyant qu'elle me souriait relativement gentiment, j'ai tout de même répondu à sa question.
« Pourquoi ne pas commencer par la première ? finis-je par lâcher en me dirigeant vers la porte avec une cour de récréation.
-Excellent choix ! lança-t-elle, visiblement très heureuse que je commence par celle-là. »
Les probabilités pour que je regrette d'entrer dans son jeu son d'à peu près... euh... 400%, mais je me suis quand même avancé vers la porte. Lorsque je l'ai ouverte je me suis retrouvée dans la classe vide de l'école où j'avais fait mon primaire. J'ai regardé sur le tableau la date du jour : 9 mai 2005. J'eus à peine le temps de comprendre ce qu'il se passait à l'extérieur que mon double m'avait chuchoter à l'oreille ces quelques mots : « tu sais à quoi ça correspond, n'est-ce pas ? », suivi par un « aïe » hyper-aigu venant de l'extérieur. Je suis sortie en compagnie de mon double pour voir la scène qui m'a fait me tourner vers les garçons quand j'étais petite.
Je me suis vue me faire tirer les cheveux par une fille de mon âge, puis une autre est arrivée derrière moi et m'a poussé dans les cailloux de la cour. La chute m'écorcha les genoux et troua mon pantalon aux même niveau, me faisant pleurer au passage, ce qui amusa beaucoup mes jeunes tortionnaires.
« Arrête de faire ton intéressante ! T'es une idiote et c'est tout ! cria une troisième fille.
-Ouais, idiote un jour, idiote toujours, rigola celle qui m'avait poussée.
-A partir de maintenant t'approche plus de nous ! Saleté ! enchérit celle qui me tirait les cheveux juste avant. »
Ce jour-là maman m'avait fait des tresses et quand elle était venue me chercher elle avait rigolé en demandant comment c'était possible d'avoir une fille aussi peu douée de ses deux pieds pour rentrer dans cet état. Je m'étais sentie tellement incomprise que je n'avais même pas essayé de lui dire ce qu'il s'était passé.
« Je crois qu'on va passer à la porte d'après... dis-je en retournant dans la salle de classe où les deux portes restantes attendaient.
-Alors qu'allons-nous visiter maintenant ? demanda joyeusement mon double.
-Avant de te répondre, j'ai une question moi aussi. Ce jour fait parti des souvenirs que j'ai rejeté non ? Alors pourquoi font-ils partis de mes « monstres » ?
-Tu as effectivement rejeté ce souvenir, me répondit-elle en s'appuyant contre une table. Mais rejeter n'est pas synonyme d'effacer, c'est pourquoi tout ce que tu te forces à oublier vient irrémédiablement s'ancrer dans mes souvenirs. »
Étrangement, elle n'a pas l'air en colère contre moi face à ce que je lui impose.
Espérons que ça dure...
Je me suis dirigée vers la porte portant le cadre avec la photo de ma famille et l'ai ouverte. Je me suis retrouvée dans une voiture, mon père conduisait et son portable, sur le siège passager, sonnait.
« Je ne veux pas voir ça ! m'écriais-je soudainement.
-Tu n'as pas le choix, je ne te permettrais pas de te réveiller tant que tu n'auras pas vu tout ce que je veux te montrer. »
Je me suis retournée vers mon père lorsqu'il décrocha le téléphone. Je me bouchais instinctivement les oreilles, la conversation me revenant en tête. Ce jour-là, c'est moi qui l'avait appelé ; à l'école on nous apprenait à nous servir du téléphone et je l'avait appelé. J'ai discuté quelques secondes avec lui, le temps de lui expliquer pourquoi je l'appelais, puis j'ai entendu un gros « boom » et la ligne a coupé.
Aujourd'hui, ma culpabilité envers ce jour s'agrandit encore puisque je viens de comprendre qu'au-delà de la malédiction qui entoure ma famille depuis des générations, j'avais directement causé l'accident de voiture qui avait tué mon père. Si je ne l'avais pas appelé ce jour-là, il serait peut-être en vie à l'heure qu'il est.
Au moment du choc, mon double et moi avons été éjecté de la voiture, passant à travers la carrosserie. J'ai alors assisté impuissante au décès de mon père. Petit à petit, les voitures ont commencées à s'arrêter ou à ralentir pour voir ce qu'il se passait et quelqu'un a appelé les pompiers. Lorsqu'ils sont finalement arrivés, il était trop tard, mon père venait d'expirer.
Alors que les larmes commençaient à se former, je me suis retournée pour ne pas voir la fin de la scène bien que je sache qu'il ne se passerait plus rien d'atroce. Je me suis retrouvée face à la dernière porte, la plus mystérieuse : celle qui n'avait aucune illustration. J'ai ravalé mes larmes et me suis dirigée vers la dernière étape de ce cauchemar, mon double sur les talons. Lorsque j'ai ouvert la porte, je me suis immédiatement retrouvée dans le néant. Pas de ciel, pas de bâtiments, pas de verdure, pas de sol et pas d'être vivant.
« Qu'est-ce que ça veut dire ? demandais-je perplexe à mon double qui avait apparemment disparu.
-Ceci est ta troisième peur la plus forte, m'apprit une voix qui semblait venir de nul part et de partout en même temps.
-Mais il n'y a rien, objectais-je.
-En effet, dit-elle cynique, et c'est parce que que cette porte représente ton futur.
-Ah, et c'est censé vouloir dire que je vais mourir dans la nuit ?
-Non, le fait qu'il n'y ait rien signifie juste que tu ne sais pas ce qu'il va t'arriver dans le futur et que ça t'effraye.
-Et pourquoi je ne peux pas te voir alors ? Il me semble que quoi que je fasse tu seras toujours là pour me pourrir la vie puisque tu es une partie de moi.
-C'est vrai, mais si j'étais là, ton cauchemar ne serait pas complet, puisque tu ne serais pas seule. »
J'ai soudainement pris conscience du fait que, puisqu'il n'y avait absolument rien autour de moi à part la voix de ma copie, j'étais complètement seule.
« Donc en fait c'est plus que j'ai peur d'être seule sans savoir ce qui m'attend...
-C'est ça. Mais comme je l'ai dit plus tôt ce ne sont que tes trois plus grandes craintes, en réalité tu as peur de beaucoup plus de choses, mais ce ne sont que de petites frayeurs. En réalité ces trois portes passent leur temps à changer, les peurs des gens se modifiant au cour de leur vie. »
Je me suis sentie tomber en arrière brusquement et sans rien à quoi m'accrocher, ne pouvant que fermer les yeux. Quand je les ai ouverts, j'étais dans ma chambre debout à l'endroit exacte où j'étais avant d'ouvrir la première porte, mon double face à moi.
« Cependant, tes portes n'ont pas du tout changé depuis que tu as tes pouvoirs. C'est pourquoi je me suis dit que ce serait intéressant de voir tes réactions si tu devais faire face à ce qui se trouve derrière, m'expliqua mon double. »
Le monde des rêves est vraiment impressionnant ! Et dire qu'elle le manipule comme bon lui semble... Mais cette fois ça ne marchera pas, parce que j'ai compris ce qu'elle cherche, enfin je crois...
« Ça suffit, j'ai trouvé la solution de ton jeu.
-Oh vraiment ? Dans ce cas je t'écoute, me dit-elle sarcastique.
-Tu veux intervertir nos personnalités, c'est ça ? Tu veux que je devienne la méchante !
-La méchante ? répéta-t-elle en riant. Tu me vois vraiment comme ça ? Mais tu sais, on n'est pas dans un film...
-Dis le double maléfique d'une fille qui manipule les pensées des gens...
-J'avoue que tu marques un point là. Mais tu as tout faux, nos personnalités ne changent que parce que tu t'obstines à ignorer la solution de mon jeu.
-Alors dis-moi ce que tu cherches à faire !
-Pas question, si je te le disais, ce jeu perdrai tout son sens. Mais rassure-toi la partie est bientôt finie. Et pour cette raison, je vais te donner un indice : tu ne peux pas gagner sans moi, dit-elle en me regardant droit dans les yeux avant de disparaître. »
Quoi ?
J'ai à peine eu le temps de comprendre ce qu'elle avait dit, que je me trouvait déjà happée par le monde réel.
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Le jour où tout a basculé (En Réécriture)
Roman pour AdolescentsAnna-Lisa est une jeune fille de 17 ans renfermée, elle s'éloigne le plus possible des garçons et ne s'implique qu'avec ses amies proches. Adolescente au passé difficile, sa vie change du tout au tout, le soir où elle entend une de ses amies se décl...