Chapitre 9

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La soirée a commencé plutôt bien. La mère de Raphaël est géniale, par contre je trouve qu'elle s'entend un peu trop bien avec la mienne. C'est bien pour elles mais pas pour moi.



« Les enfants ! Et si vous montiez dans la chambre de Raphaël jusqu'au dîner ! Vous devez vous ennuyer ici. Par contre ne faites pas de bêtises, dit Madame Jones avec un grand sourire et un regard appuyé. »



Je me tourne avec les yeux ronds vers Raphaël qui se contente de soupirer et de partir. Je le suis jusque dans sa chambre où je m'assois sur son lit, perdant mon faux sourire de petite-amie parfaite.



« Alors ? T u m'expliques ce qui t'as fais changer d'avis ?

-Si je t'explique, je vais devoir te raconter une partie de ma vie et je te fais pas confiance.

-Ça, je le sais mais je suis en droit de me poser des questions non ?

-Pour simplifier au maximum, la femme qui pleurait sur ton lit la dernière fois m'a faite une proposition que j'ai pas pu refuser.

-Et la version longue ?

-Si tu veux que je la raconte, tu devras me dire quelque chose de même valeur.

-Comment ça ?

-Je suis pas sûre que tu puisses me dire quelque chose d'aussi énorme, mais tu comprendras quand j'aurai fini.

-Je suis quasiment certain que côté énormité je suis pas mal servi.

-D'accord. Dans ce cas, tout ce qu'on dira à partir de maintenant devra rester entre nous.

-Ça me va.

-Bon dans ce cas, tu devrais t'asseoir. »



Il prend place sur sa chaise de bureau et me regarde en attendant que je commence.



« Le soir où Roxie s'est déclarée à toi, elle est partie en courant juste après et je l'ai suivie. Elle a beaucoup de problèmes familiaux et l'année dernière elle a essayé de se suicider : comme j'avais un mauvais pressentiment, je l'ai rattrapé. Elle allait se jeter d'un pont. »



Petite pause dramatique.



« Je l'ai tiré en arrière, mais c'est moi qui suis tombée. Ce soir-là... je suis morte. »



"Je suis morte". Ça fait toujours bizarre de se dire ça.



« Tu te rappelles de la personne avec qui je discutais sur le toit ? »



Il hoche la tête pour confirmer.



« C'est lui qui m'a ramenée à la vie. »



Ça aussi ça fait bizarre.



« Tu te fiches de moi ? Comment c'est possible ? m'interrompt-il.

-En fait tout ces gens qu'on voit et pas les autres, bin, c'est des Dieux ! »

J'essaye de sourire et de faire comme si cette phrase était normale, mais ça marche pas vraiment.



« Des Dieux ?

-Ouais. Par exemple celui qui m'a sauvé et qui veille sur moi : c'est Osiris, le Dieu égyptien de la mort et de la renaissance et la femme qui veille sur toi : c'est Pénia, la Déesse grecque de la pauvreté.

-C'est complètement dingue.

-Bref c'est pas le sujet. Normalement quand les Dieux se lient avec un humain, ils sont obligés de rester avec eux jusqu'à leur mort. Et si le Dieu intervient dans la destiné de l'humain, la contrepartie est que l'humain peut les voir mais pas les entendre. Ce qui agit plus comme une malédiction qu'autre chose en fin de compte. Par contre, en ce qui me concerne, Osiris ne m'a pas empêché de mourir, il m'a ressuscitée. Ce qui explique que je puisse leur parler. Tu suis jusque là ?

-Ouais ça va ! C'est un peu incroyable mais au point où j'en suis, un peu plus de magie me fera pas de mal.

-Bon, je ne sais pas depuis combien de temps tu peux la voir, mais Pénia veille sur toi depuis longtemps, et le soir où je t'ai vu, au début des vacances, elle est venue me voir. En fait, les Dieux ont des lois très strictes et s'ils ne respectent pas ces règles... ils perdent leur titre et se désintègrent totalement, n'ayant droit ni au Paradis ni à l'Enfer. Osiris a enfreint une loi en me ramenant, mais ses Supérieurs ne le savent pas encore. Mais en plus d'être un hors la loi, il a fait une erreur en me ressuscitant, il m'a transmit un de ses pouvoirs. »



Cette fois Raphaël est complètement sous le choc, les yeux exorbités, la bouche ouverte et je ne suis pas sûre qu'il respire encore.



Bon je peux le comprendre, c'est assez inattendu comme informations. Mais on dirait qu'il reprend ses esprits.



« Et c'est quoi ce pouvoir ?

-De la lecture de pensées. C'est d'ailleurs aussi pour ça que Pénia est venue me voir. Elle voulait m'apprendre à m'en servir avant que je fasse une bêtise sans m'en rendre compte. A ce moment-là, elle m'a proposé un marché. Si j'expliquais la situation à ma mère pour le nouvel an, quelque soit sa réponse, elle m'apprendrait.

-Donc je dois ton aide à ta mère au final.

-C'est ça. Apparemment la situation lui plaît beaucoup et elle avait envie de s'amuser avec mes nerfs. Elle a pas arrêté de m'envoyer des vents depuis que je lui en ai parlé. »



Il est parti dans un fou rire.



« J'adore ta mère !

-Ouais, bin t'habitues pas trop parce que si Pénia m'avait pas fait de chantage, j'aurai rien fait.

-Je sais je sais.

-Bon c'est ton tour ! Vas-y, dis-moi quelque chose d'équivalent.

-D'accord. »



Il s'est levé et s'est dirigé vers une pièce adjacente à sa chambre qui, d'après ce que je vois dans l'entrebâillement de la porte, est une salle de bain.



« Qu'est-ce que tu fais ?

-Je vais sortir mes lunettes et mes lentilles de contact. »



Quand il en ressort, il a les yeux fermés. Je me lève pour m'approcher un peu de lui, intriguée.



« Surtout ne hurle pas ! »



Il ouvre les yeux doucement et les mots me manquent pour les décrire. On dirait ceux d'un chat, c'est magnifique. Je me sens comme hypnotisée et irrésistiblement attirée par lui. Je m'approche un peu plus de lui, posant mes mains sur ses joues pour le forcer à poser son regard fuyant dans le mien, fasciné.



« Euh Anna-Lisa ? Qu'est-ce que tu fais ? »



Ses mots sont bien trop loin de mon esprit pour que je les entende. Je n'entends plus rien, je ne vois plus que ses yeux. Ah non, je sens autre chose, mon corps tombe, on dirait que j'ai un peu trop forcé finalement. Raphaël me rattrape un peu décontenancé, juste avant que je ne touche le sol. Je ne sens plus le sol sous mes pieds, tout ce que je sais c'est que Raphaël me porte et m'allonge sur quelque chose de moelleux, probablement son lit. Je ne vois plus rien, c'est le noir complet. Je sens une serviette humide se poser sur mes yeux et une main chaude sur mon front. Mes sens reviennent peu à peu et j'entends Raphaël me demander si je l'entends. Il a l'air paniqué et un peu dépassé par les événements. Je ne peux pas parler, alors je cherche sa seconde main qui, je le sais, est posée sur le lit. Je la sers doucement et il souffle, rassuré.



On a beau se détester, c'est pas le genre de situation où on s'occupe de nos différends.



« Tu veux toujours que je te raconte mon histoire ? »



Je serre une nouvelle fois sa main pour acquiescer, étant toujours incapable de prononcer le moindre mot.



« Par contre, tu m'expliqueras ce qu'il vient de se passer après. Bon, en fait j'ai ces yeux depuis que je suis né. Pendant toute mon enfance on m'a dit et répété que j'étais un monstre et le fait de voir les Dieux ne faisait que me confirmer que j'en étais un. Je croyais que j'étais le seul à les voir. Quand je suis rentré au collège, j'ai pris un nouveau départ, j'ai mis des lentilles de contact et de fausses lunettes et je me suis isolé. J'ai jamais compris pourquoi j'étais différent et je l'assumais absolument pas. C'est pour ça que, quand je t'ai vu discuté sur le toit avec Osiris, je me suis dit "Génial ! Je suis pas le seul à être particulier !". C'était égoïste de ma part, mais ça me rassurait. »



Ça y est je peux parler.



« A quel moment tu as arrêté de penser que tu étais un monstre ? demandai-je.

-Quand j'ai commencé à cacher mes yeux et vivre normalement, sans avoir à me préoccuper de ce que pensent les autres. »



Je me sens mieux. Je me redresse et enlève la serviette de mes yeux.



« Au final, on est pas si différent l'un de l'autre tout les deux.

-Ouais. Mais fais pas la gentille tout d'un coup, j'y crois pas ! Alors explique ce qu'il vient de se passer.

-Je te l'ai dit Pénia m'a appris à contrôler mon pouvoir, le problème c'est que je voulais pas prendre de risque en venant ici sans être sûre de pas pouvoir faire de bêtise, et mon corps à un peu de mal à récupérer de mon entraînement.

-T'es complètement folle. Si c'était pour te rendre malade t'aurai pu ne pas venir !

-Et toi ? Qu'est-ce qu'ils ont de si particulier tes yeux ? A part leur forme. »

Le jour où tout a basculé (En Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant