Chapitre 2

707 107 17
                                    


Mon physique plutôt avantageux et ma discrétion m'ont permis de décrocher il y a deux ans une place de serveur dans un restaurant huppé de la ville, de juin à septembre. Le salaire y est plus qu'intéressant en comparaison des petits boulots d'étudiants traditionnels, et les clients y sont généreux en pourboires, ce qui me permet de ne pas travailler le reste de l'année et de ne me consacrer qu'à mes études. J'embauche à onze heures le matin et termine après le dernier service, tard dans la nuit, six jours sur sept. Lorsque je rentre, Clotaire et Calixte dorment, et lorsque je me lève, ils sont très souvent déjà partis en balade. Ainsi, pendant le mois qu'il reste de vacances d'été, nous n'avons pas l'occasion de faire plus amplement connaissance, elle et moi.

A quelques jours de la rentrée universitaire, je découvre que Calixte suit le même cursus que moi en histoire option géographie, à la différence près que je connais déjà le campus pour y être inscrit pour la troisième année, alors qu'elle va le découvrir pour sa licence après un transfert de dossier depuis l'Ouest de la France et une affectation inespérée à la capitale, pour pouvoir rester avec son Clotaire adoré. Ce dernier étudie la géographie option histoire, ça ne s'invente pas, nous nous croiserons donc souvent puisque nous aurons tous les trois nos travaux dirigés dans le même bâtiment, et partagerons régulièrement le même amphithéâtre.

A ma grande surprise, j'apprends de la bouche de Clotaire que Calixte va cependant nous quitter pour s'installer dans une chambre à la cité universitaire, ses moyens financiers ne lui permettant pas de louer autre chose.

— Mais je ne comprends pas. Pourquoi est-ce qu'elle ne continue pas de vivre avec nous tout simplement ?

— Parce qu'elle a sa fierté, elle tient à payer un loyer, et ici ça lui ferait trop cher. Elle est boursière et une chambre à la cité U ne lui revient qu'à quelques dizaines d'euros par mois.

— Et comment elle faisait jusqu'à présent ?

— Je lui ai raconté que le proprio ne nous faisait pas payer les mois d'été...

— Et elle t'a cru ? Putain, t'es vraiment doué !

— Ouais, qu'est-ce que tu crois ! Mais ça me fait vraiment chier de la voir partir s'entasser avec d'autres mecs et nanas dans des sanitaires collectifs à l'hygiène plus que douteuse. Et puis, elle qui aime tant profiter de notre balcon, elle sera cantonnée à neuf mètres carrés avec une minuscule fenêtre, comme les taulards. Son autorisation de sortie ça sera pour la fac, tu parles d'une vie étudiante trépidante !

— Oh arrête, t'es blindé, si tu veux vraiment qu'elle reste ici avec toi, t'as qu'à payer sa part comme tu le fais depuis le début, et lui inventer un autre bobard pour qu'elle revienne.

Le visage de Clotaire s'éclaire.

— Ça ne te gênerait pas, t'es sûr ?

— Pourquoi veux-tu que ça me gêne ?

— Ben, on a toujours dit qu'on mettrait pas d'histoire de filles entre nous.

— Mais il n'y a pas d'histoire, là ! C'est ta copine, vous vous aimez, je vois pas où est le problème. De toute façon, elle occupe ta chambre, il nous reste toujours la possibilité de sous-louer la dernière.

— Bien sûr, mais je voudrais pas que tu te sentes rejeté et que tu te mettes à l'écart.

— Sérieux Clo, du peu que je la connais elle a pas l'air bien difficile à vivre, je pense qu'on est assez grands tous les trois pour réussir à s'entendre, non ?

— Ouais, c'est sûr.

— En plus, ça pourrait nous permettre de bosser ensemble pour la fac.

— Carrément, bon ben c'est décidé, je l'appelle tout de suite !

Calixte ne se laisse pas convaincre facilement, et c'est tout à son honneur. Lorsqu'elle déménage définitivement avec toutes ses affaires à la veille de la rentrée, Clotaire est excité comme une puce de démarrer pour la première fois de sa vie une vraie relation.

Dès la première journée de cours, le chargé de travaux dirigés se sent obligé de nous imposer un exposé à réaliser en binôme. Les duos se forment rapidement, je décline l'invitation d'un ami que je me suis fait en première année et propose à Calixte de se joindre à moi pour ce travail de recherches, afin qu'elle se familiarise avec le campus et les demandes parfois saugrenues de ses professeurs. Elle accepte et tire l'intitulé de notre sujet d'étude au sort, et tombe sur les maçons de la Creuse à l'époque Moderne.

— Je suis désolée, s'excuse-telle. Je crois qu'il aurait mieux valu que tu pioches.

— Tu n'as pas à l'être, ne t'inquiète pas, ils nous font le coup tous les ans de l'exposé de début d'année. C'est juste pour nous remettre directement dans le bain en nous forçant clairement à retrouver le chemin de la bibliothèque universitaire...

— Prétexte peu motivant !

— Je te l'accorde ! Mais ça nous permettra d'apprendre à nous connaître, qu'est-ce que t'en penses ?

Je lui fais un petit sourire et elle me le renvoie.

— Oui, c'est vrai. Je suis sûre que ça fera plaisir à Clotaire.

Effectivement, malgré le temps que nous avons passé sous le même toit depuis son arrivée chez nous, nous ne nous sommes quasiment pas adressé la parole, car elle et Clotaire vivent dans leur petite bulle et je n'ai pas voulu les déranger. Sa timidité est touchante mais j'ai réalisé il y a peu que je ne la connaissais absolument pas. Sa personnalité m'intrigue car j'ai du mal à comprendre comment elle peut si bien s'entendre avec Clotaire, garçon extraverti s'il en est, alors qu'elle semble constamment sur la réserve.

Calixte me tire de ma rêverie en m'expliquant qu'elle souhaite débuter immédiatement le travail de recherches afin qu'on ne se laisse pas déborder par d'éventuels autres travaux qui pourraient s'ajouter à la demande du reste des professeurs. Et je sens à son intonation qu'elle a l'intention de prendre les rênes. Je me plie donc à sa demande et la conduis à la bibliothèque. Elle se jette alors à corps perdu dans les bouquins, comme si le sujet la passionnait. La voir ainsi investie me fait sourire car elle met du cœur à l'ouvrage comme si son année universitaire en dépendait.

Nous passons plusieurs heures ensemble sur place chaque jour, pendant une semaine, et, petit à petit, j'entrevois des bribes de sa personnalité lorsqu'elle laisse se fissurer les murs derrière lesquels elle se cache habituellement. Elle se révèle être pleine d'humour et de façon plutôt surprenante, très directive quand il s'agit de présenter notre exposé, exercice qui nous attire les félicitations une fois le travail achevé.

Très rapidement, une routine bien rodée s'installe à la colocation, alternant moments de cours à la fac, travail de recherches à la bibliothèque universitaire, repas, courses, ménage et sorties à trois. Chaque jeudi, vendredi et samedi, nous organisons ou participons à des soirées ensemble, et profitons du dimanche pour nous reposer. À aucun moment je ne me sens désormais de trop dans la relation de mon meilleur ami avec Calixte.

CalixteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant