J'ai à peine le temps de comprendre la scène que je vois une des béquilles de Calixte tomber au sol et la main qui la tenait s'écraser sur la joue gauche de Clotaire qui reste interdit, sa bière à la main.
— Qu'est-ce qui te prend, putain ?
Calixte le pousse violemment et le fait tomber sur le canapé.
— Mais bordel qu'est-ce qui t'arrive ?
Il joue merveilleusement bien le mec surpris, et si je ne connaissais pas toute la vérité, j'aurais pu me laisser berner par son ton incrédule.
— Qu'est-ce qui m'arrive ?? Non, mais t'es sérieux, là ??
Je n'ai jamais vu Calixte aussi furieuse. Elle est rouge de colère et commence à brandir la dernière béquille qui lui reste encore dans les mains, si bien que je pense un moment qu'elle va s'en servir pour frapper Clotaire. Visiblement, ce dernier interprète son geste de la même façon car il se recroqueville et se protège le visage de ses bras. Calixte arrête sa béquille en l'air instantanément.
— Tu mériterais que je t'en mette un coup, oui ! Non mais sérieusement, tu crois vraiment que tu peux te pointer comme ça après des mois et m'embrasser tranquillement ??
Je sais que je devrais leur laisser de l'intimité pour qu'ils s'expliquent franchement, mais je suis partagé entre le besoin de protéger Calixte de Clotaire et une curiosité malsaine à l'idée de voir comment Clotaire va se dépatouiller de la situation.
— Viens, on va dans la chambre on sera plus tranquilles.
— Ah non, je vais nulle part avec toi. Par contre, tu te barres illico !
Elle montre la porte à Clotaire de sa béquille gardée en main.
— Que dalle ! Je suis chez moi je te rappelle. Donc tant qu'on se sera pas expliqués, je bougerai pas de mon appart.
— OK. Dans ma chambre. Tout de suite.
Calixte récupère sa deuxième béquille par terre et se dirige vers la porte de sa chambre, Clotaire sur les talons.
Dès que la porte se referme, les éclats de voix commencent mais ils parlent tous les deux en même temps si bien que je ne distingue rien de ce qu'ils se disent. Je me rapproche de la cloison mais n'entends pas mieux. Calixte semble s'être lancée dans un long monologue et ne laisse pas Clotaire en placer une. Elle a l'air de bien se défendre et de ne pas se laisser faire. Comme je ne comprends rien de leurs échanges, je finis par me retirer dans ma chambre et m'installe sur le lit, les bras croisés derrière la tête. Ces quelques jours en Bretagne ont été des plus agréables, mais le retour à la réalité est plutôt brusque. J'en veux à Clotaire de se pointer au moment où Calixte semblait de plus en plus détendue, voire prête à cesser de penser à lui. Je remarque finalement que les éclats de voix ont diminué et ma curiosité l'emporte de nouveau. Je me lève, sors de ma chambre et m'approche discrètement de la cloison de la chambre de Calixte. Je distingue nettement la voix de Clotaire, et ce que cet enfoiré est en train de faire me donne envie de vomir.
— ...t'ai rien dit pour te protéger. Et je voulais pas que tu me détestes. Parce que finalement c'est arrivé sans que je le veuille vraiment, et puis après t'as eu cet accident, et je savais plus ce que je devais faire ou pas.
— Tu crois vraiment que je vais avaler ça ? En gros, t'es en train de m'expliquer que tu m'as caché la vérité pour me préserver ? Tu t'es envoyé en l'air avec je ne sais combien de filles dans mon dos, putain !
— Je suis désolé. Je voulais pas te faire de mal, vraiment... Je pensais que tu me détesterais parce que cet accident c'était ma faute, finalement, donc j'ai préféré disparaître pour te laisser le temps de te rétablir et oublier tout ça. Je savais qu'Hélio prendrait soin de toi. Et là, je pensais que tu serais prête à tourner la page, et qu'on reprenne notre histoire là où on l'avait arrêtée. On était trop bien ensemble, bébé. Notre histoire était trop belle pour y mettre fin à cause d'une connerie.
J'entends qu'il se déplace dans la chambre et Calixte ne répond rien, si bien que j'en viens à imaginer qu'il s'est dirigé vers elle et que ses lèvres collées sur les siennes l'empêchent de parler. Je retourne dans ma chambre pour ne plus en ressortir. Je sais très bien que c'est mon imagination qui me joue des tours. Calixte est trop intelligente pour tomber dans le panneau. Je me couche et finis par m'endormir en me demandant comment la situation va évoluer.
Le lendemain matin, je trouve Calixte et Clotaire bien plus calmes que la veille. Ils sont attablés autour du petit déjeuner et se parlent normalement, même si je distingue une certaine tension.
— En fait, chaque soir je galère à squatter chez les uns ou chez les autres pour avoir un endroit où me pieuter pour la nuit.
— Ben comme tu nous l'as si délicatement rappelé hier soir, c'est chez toi ici, donc si tu veux récupérer ta chambre, tu fais ce que tu veux.
Je choisis ce moment pour intervenir et ainsi leur manifester ma présence, d'un ton désagréable.
— Tu vis plus chez ta copine ?
Clotaire lève son majeur dans ma direction et Calixte quitte la table à cloche-pieds. Je me dirige vers elle pour lui tendre ses béquilles et lui faire la bise, comme chaque matin, et je vois dans ses yeux une fatigue immense et une lassitude extrême. Je me radoucis.
— Ça va ?
— Ça va, me répond-elle simplement, avant de s'enfermer dans la salle de bains.
Je reprends mon air agressif et m'adresse à Clotaire.
— Tu comptes faire quoi alors ? Reprendre ta petite vie ici comme si de rien n'était ?
— Ouais, mec. Que ça te plaise ou non, les cours vont reprendre dans quelques semaines et je compte bien me réinstaller chez moi.
J'acquiesce ironiquement en hochant la tête.
— Parfait.
Je retourne dans ma chambre en claquant la porte.
Durant la période qui nous sépare de notre rentrée universitaire, Clotaire est très peu présent à l'appartement. Ma relation avec lui est tendue, nous nous accrochons systématiquement à chacune de nos brèves entrevues. Je suis aux petits soins pour Calixte pour lui faciliter la vie, la conduis à ses rendez-vous médicaux et à ses séances de rééducation une fois que son plâtre lui est ôté. J'essaie de la protéger au maximum de Clotaire et l'aide pour tout ce qu'elle entreprend. Mais le quotidien à la colocation est compliqué, les non-dits étouffant peu à peu notre ancienne complicité.
La veille de la rentrée, comme chaque année, je cherche le sommeil. En pleine nuit, je me lève pour aller boire un verre d'eau dans la cuisine. Je ne prends pas la peine d'allumer la lumière, connaissant les moindres recoins de l'appartement les yeux fermés. Mais mon sang se glace lorsque j'aperçois la porte de la chambre de Clotaire s'ouvrir tout doucement. Il se dirige tout naturellement vers celle de Calixte et se glisse à l'intérieur, sans aucun bruit, avant de refermer la porte. Je reste sans bouger plusieurs minutes et finis par prendre une décision radicale. Lorsqu'ils se lèveront le lendemain matin, ils découvriront un appartement vide.

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Calixte
RomanceClotaire rentre plus amoureux que jamais de son séjour à Londres avec Calixte, une étudiante timide qu'il a rencontrée dans l'Eurostar. Il l'installe dans la colocation qu'il partage avec son meilleur ami, Héliodore...