Chapitre 6

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Arrivés à Paris, nous déposons Ysandre à la gare. Mais cette fois, c'est moi qui descends avec les filles pendant que Clotaire continue égoïstement sa sieste dans la voiture. Calixte et moi raccompagnons Ysandre jusque sur le quai. Je m'éloigne légèrement pour leur laisser un peu d'intimité quand elles se prennent dans les bras l'une de l'autre, mais Ysandre m'attrape par le coude pour me forcer à me joindre à leur étreinte. Sans pouvoir me contrôler, j'enfouis mon nez dans la chevelure de Calixte et ferme les yeux pour m'imprégner de son odeur. Il se dégage de ses cheveux un parfum boisé que je serai désormais capable de reconnaître entre mille.

Un coup de sifflet retentit et me fait brusquement revenir à la réalité. Je m'écarte et les filles se séparent. Je propose à Ysandre mon aide pour monter son sac à dos dans le wagon mais elle décline mon offre, ajoutant avec un sourire railleur qu'elle a certainement plus de force que moi. Sa manière de s'exprimer ne me choque désormais plus et je la trouve infiniment attachante, car j'entrevois derrière son côté extravagant des fêlures qu'elle s'efforce de dissimuler.

Les portes automatiques se ferment au moment où Calixte et Ysandre se promettent de se retrouver bientôt, puis le train se met en marche. Nous faisons un signe de la main à Ysandre qui nous tire la langue, puis nous nous dirigeons vers ma voiture.

— Pas trop triste de la voir partir ?

— Si, beaucoup. La revoir pour cette semaine m'a fait réaliser à quel point elle me manque. Avant que mon dossier ne soit transféré ici, on était sur le même campus et il ne se passait pas une seule journée sans qu'on se voie.

— Pourquoi elle ne viendrait pas te rejoindre alors ?

— Parce que sa mère est très malade. Elle a besoin d'elle. Et comme elle ne peut plus gérer le quotidien, Ysandre s'occupe de tout.

— Son père ne pourrait pas donner un coup de main, ou un frère ou une sœur ?

— Son père est mort il y a cinq ans.

— Merde, ça craint. Il était malade lui aussi ?

— Non, pas du tout. C'est une horrible affaire. Il était alcoolique et frappait sa femme, Ysandre et sa petite sœur, Cléore. Et une nuit, Cléore a poignardé son propre père pour que les souffrances s'arrêtent.

— Oh putain ! Si je m'attendais à ça !

— Ça a été une période affreuse pour Ysandre.

— J'imagine, oui. Et qu'est devenue sa sœur ?

— Cléore a fait quelques mois de prison. Elle a pu bénéficier de beaucoup de clémence du juge et des jurés et n'a obtenu qu'une peine symbolique. Mais le milieu carcéral n'est par un milieu favorable au développement d'une jeune fille déjà perturbée. Elle a fait de mauvaises rencontres et s'est laissée entraîner dans tout un tas d'histoires plus sordides les unes que les autres. Aujourd'hui, aux dernières nouvelles, elle vivrait en Amérique Latine. Mais Ysandre n'est même pas certaine que ce soit la vérité.

Je m'aperçois que le choc de ses révélations m'a arrêté et que nous n'avons toujours pas franchi les portes extérieures de la gare. Nous nous remettons en marche et nous dirigeons vers l'emplacement de la voiture.

— Et vous allez vous revoir quand ?

— Pour les vacances de Noël. Je vais rentrer chez moi.

— Je me rends compte que je ne sais même pas où c'est chez toi.

Elle me sourit.

— Belle Île, en Bretagne.

— Oh la chance ! J'ai vu beaucoup des photos, les paysages ont l'air vraiment magnifiques.

— Ils le sont. Je pourrais organiser nos prochaines vacances à tous là-bas, avec Ysandre. Elle vit à Brest maintenant, parce que c'est plus facile pour les soins de sa mère. Mais je suis sûre qu'elle nous préparerait un séjour aux petits oignons.

— Ah ben moi je valide ! Mais Clotaire préférera peut-être découvrir l'île en amoureux avec toi ?

Je pose la question non innocemment.

— Je ne sais pas... C'est sympa de partir entre copains aussi. J'ai vraiment apprécié notre semaine. Et j'ai été ravie de faire la connaissance de Gaspard et Tancrède.

Nous arrivons à ma voiture, j'ouvre ma portière et invite Calixte à s'installer à l'arrière. Clotaire se réveille en sursaut, se frotte les yeux et bâille bruyamment.

— Ça y est, on est arrivés ?

— Bientôt, marmotte, on était à la gare.

— Merde fallait me réveiller, Calixte ! J'aurais pu t'accompagner pour ramener Ysandre.

— Héliodore l'a fait, ne t'inquiète pas.

Une demi-heure plus tard, je me gare au bas de notre immeuble. Nous multiplions les allers-retours pour décharger le coffre et quand il est enfin vidé, Clotaire se laisse tomber sur le canapé. Je range mes affaires et entre dans la salle de bains pour lancer une machine, mais Calixte est déjà accroupie devant, à faire entrer les vêtements de Clotaire et les siens.

— Je libère la place, me dit-elle en souriant.

— Ne te dépêche pas, je ne voulais pas me doucher, je pensais mettre mon linge à laver moi-aussi.

— Ah mais si tu veux je peux sortir le nôtre, ça ne presse pas.

— Bien sûr que non, je m'en occuperai quand ta machine sera finie, ne t'inquiète pas.

Je referme la porte derrière moi et choisis ce soir-là de ne pas quitter ma chambre. Mes pensées tournent inlassablement autour de Calixte et de ses yeux noisette envoûtants. Il faut que cela cesse. Au milieu de la nuit, en proie à une insomnie, je prends radicalement la résolution de l'éviter au maximum désormais. Si je ne prends pas les choses en main, elle va finir par carrément devenir une obsession, et ça n'est pas possible.    

CalixteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant