Chapitre 4

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En à peine plus d'une heure, nous parvenons à l'endroit souhaité. Il s'agit d'un petite clairière parsemée de touffes d'herbe fraîche dans le méandre d'un ruisseau, dont la proximité immédiate est couverte de gros galets arrondis. Il y règne une atmosphère totalement apaisante. Nous mettons nos sacs à terre et installons le campement. Clotaire, Gaspard et moi-même montons les trois tentes apportées et les fixons à l'aide de sardines à quelques mètres les unes des autres sur la partie herbeuse, en prenant soin de laisser suffisamment de place au centre pour pouvoir y allumer un feu. Tancrède et Ysandre partent aux alentours ramasser des branches et je les soupçonne d'être déjà l'un sur l'autre au détour d'un fourré. Calixte a proposé de préparer de quoi manger pour tout le monde et s'affaire pendant que nous terminons de gonfler les matelas. Nous finissons tous au moment où nos deux chargés de bois reviennent, toujours en train de parler fort et de troubler le calme ambiant.

La nuit tombe rapidement en cette saison, et après avoir mangé, nous nous resserrons autour du feu pour nous réchauffer. Nous l'avons finalement allumé au plus près de la rivière qui borde nos tentes, par crainte d'un incendie.

Tancrède et Ysandre monopolisent la parole, assis en tailleur côte à côte ; Gaspard, à leur droite, essaie tant bien que mal de participer à la conversation les rares fois où il peut en placer une ; Calixte est silencieuse, blottie entre les jambes de Clotaire qui la recouvre de ses bras, et moi j'observe tout ce petit monde comme j'aime le faire quand nous sommes nombreux. Rapidement, je remarque que les kilomètres avalés depuis le matin, ajoutés à la randonnée et l'installation ont raison de nous. Nos corps n'expriment que de la fatigue, et nous finissons par nous diriger vers nos tentes. Cela fait un moment que j'observe Calixte bâiller, et je suppose qu'elle ne souhaitait pas partir se coucher seule. Elle est la première à saluer tout le monde et à s'éclipser, suivie de près par Clotaire.

— Alors Tancrède, toujours prêt à m'offrir ton corps ? demande Ysandre.

— Plus que jamais, viens-là, on va se tenir chaud !

Il la prend par la main et l'attire vers l'entrée de sa tente avant d'ajouter :

— Gaspard et Hélio, pas de folie hein, on est à côté !

Je perçois malgré l'obscurité Gaspard lever les yeux au ciel en secouant la tête, et nous partageons ma tente, sans rien lui répondre.

Tôt le lendemain matin, nous sommes tous réveillés par Tancrède et Ysandre qui se sont visiblement beaucoup rapprochés cette nuit et ont décidé de se réchauffer en s'activant sous leur tente. Gênés par les bruits qu'ils émettent, Gaspard et moi prenons pour prétexte de partir en quête de bois pour la soirée à venir, rapidement rejoints par Clotaire, seul.

— Calixte dort encore ? lui demande Gaspard, en m'ôtant la question de la bouche.

— Non, elle est partie un peu plus loin essayer de trouver un endroit à l'abri des regards pour se laver dans la rivière.

— Putain mais elle est dingue l'eau doit être gelée !

— C'est ce que je lui ai dit, mais elle m'a répondu qu'elle préférait avoir froid plutôt que d'être sale...

Gaspard se rapproche alors de Clotaire et ils commencent à discuter de choses et d'autres. Mon esprit vagabonde vers Calixte, seule et sans défense en pleine nature. Je l'imagine tétanisée face à un animal sauvage, ou la cheville tordue après avoir glissé sur un gros caillou ou encore perdue après s'être trop éloignée, et trouve étrange que Clotaire ne l'ait pas accompagnée, lui qui ne la lâche jamais d'une semelle.

Rapidement, la corvée de bois de Gaspard et Clotaire tourne court, ils s'assoient dans l'herbe tout en continuant leur conversation. Je leur indique que je rentre au campement en leur rappelant qu'il est en réalité bien inutile de ramasser du bois pour le soir même puisque nous dormirons plus loin sur le parcours que nous allons effectuer.

Mes jambes me conduisent malgré moi vers la rivière et je me surprends à guetter la surface de l'eau au fur et à mesure de mon avancée. Et c'est alors que je la vois. 

Je me dissimule au pied de fougères et l'observe. Calixte est dos à moi et ses mains enserrent ses bras, signe qu'elle doit être frigorifiée. Elle a relevé ses cheveux en chignon comme lors de notre rencontre à la gare. Elle plonge jusqu'aux épaules et ressort de l'eau à de multiples reprises. J'imagine que l'eau est trop froide pour qu'elle y reste immergée de façon continue. Elle doit être en train de se rincer car je distingue de petits nuages de mousse tout autour d'elle. Et brusquement, elle se retourne. Je me cache complètement et détourne le regard. Je devine aux bruits que j'entends qu'elle est en train de sortir de l'eau et je garde les yeux fixés au sol par respect. Clotaire n'apprécierait pas de savoir que j'épiais sa copine, nue, et je ne me sentirais pas droit dans mes bottes si je me permettais de la regarder à son insu. Je reste tapi jusqu'à la voir disparaître en direction du campement, bien emmitouflée dans la grosse veste de Clotaire. Mais je suis incapable de bouger. Je réalise que je n'ai envie que d'une chose, courir la réchauffer en la prenant dans mes bras. Cette pensée me révulse et j'essaie tant bien que mal de la chasser de ma tête lorsque je me relève pour me mettre en marche à mon tour. Tout au long de la centaine de mètres qui me sépare du campement, la vision de Calixte dans la rivière reste figée devant mes yeux.

CalixteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant