Les derniers jours de vacances, je m'organise pour ne pas être présent au moment où Clotaire et Calixte se lèvent. Je pars courir tôt le matin, flâne dans le parc non loin de chez nous jusqu'en fin de matinée et ne rentre que lorsque je suis certain qu'ils seront déjà tous les deux sortis. Mon stratagème pour me tenir éloigné d'elle fonctionne si bien que je ne les croise pas une seule fois jusqu'à la fin des vacances.
Le matin de la reprise des cours, je m'éclipse avant qu'ils ne soient prêts tous les deux. Mais je ne fais que retarder l'inévitable. Calixte et moi sommes dans les mêmes groupes de travaux dirigés, et il est évident que nous allons nous retrouver tôt ou tard. Alors que j'attends devant l'amphithéâtre légèrement dissimulé par un groupe d'étudiants, je vois arriver mes colocataires, me cherchant visiblement parmi la foule massée dans le couloir. Je me mets de dos, mais moins d'une minute plus tard, je sens une tape sur mon épaule.
— Putain mais qu'est-ce que tu fous Hélio ? Tu fais la gueule ou quoi ? On te voit pas de la semaine, et ce matin tu nous attends même pas pour venir à la fac ! C'est quoi l'embrouille sérieux ?
Calixte reste derrière Clotaire, comme si elle n'osait pas se mêler de notre conversation. Je mens à Clotaire :
— Il n'y a pas d'embrouille. J'ai pensé que vous voudriez un peu d'intimité après la semaine en Ardèche, donc je me suis arrangé pour vous laisser tranquilles c'est tout.
— Et ce matin, c'est quoi l'excuse ?
— Je voulais passer à la B.U. avant d'aller en...
— Ouais, ouais, c'est ça, me coupe-t-il. S'il y a un problème on en parle et on le règle. Tout de suite.
— Non, non, je t'assure, il n'y a pas de souci.
— Donc ce soir tu manges avec nous et demain matin tu t'enfuis pas ?
— Oui, promis !
J'espère que Clotaire ne se rend pas compte à quel point mon ton sonne faux. Mais je tiens mes promesses, je me joins à nouveau à eux au quotidien et notre petite routine reprend. A ceci près que j'essaie de rester à distance de Calixte, et que Clotaire ne tarde pas à le remarquer. Quelques jours plus tard, alors qu'elle est sous la douche, il me demande ouvertement :
— C'est Calixte le problème en fait ?
Je sens que je manque immédiatement d'air et prie pour ne pas être devenu livide.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Arrête, tu te comportes avec elle comme si elle était devenue radioactive !
Je ris malgré moi.
— T'es con !
— Non, je suis sérieux, tu l'apprécies pas, c'est ça ? T'en as marre d'avoir une fille à l'appart ?
— Mais pas du tout, je t'assure qu'il n'y a rien, c'est toi qui te montes la tête pour rien.
— Non, non, je sais ce que je dis, je vois bien que t'es bizarre avec elle.
Nous entendons à ce moment-là le bruit de l'eau s'arrêter et changeons de sujet pour ne pas que Calixte entende notre conversation, et ne revenons pas dessus durant les semaines qui nous séparent des vacances de Noël. Je fais de mon mieux pour que la vie poursuive son cours normal et Clotaire semble tout oublier.
Calixte rentre chez elle comme prévu, et nous renouons avec notre ancienne vie de célibataires fêtards et sortons tous les soirs. Nous écumons les boîtes et les bars comme nous le faisions auparavant. Le troisième soir, je rencontre une étudiante, Clarence, et j'abandonne Clotaire pour faire plus amplement sa connaissance. Je lui fausse compagnie quelques heures, et au moment de rentrer lorsque la boîte ferme, j'ai beau chercher Clotaire dans tous les recoins, je ne le trouve pas. Je rentre à notre appartement, non sans avoir pris soin de noter le numéro de Clarence, et lorsque je passe devant la porte de sa chambre, j'entends des bruits qui ne laissent pas de place à l'imagination. J'en déduis que Calixte a dû rentrer plus tôt que prévu de chez ses parents, et qu'il ne m'a pas prévenu de son départ précipité de la boîte pour profiter d'elle. Mais lorsque j'entends la voix de sa partenaire de jeu, je ne reconnais pas celle de Calixte. Je me dirige dans ma chambre et dessaoule à moitié. Il semble que les vieux démons de Clotaire l'aient rattrapé. Mais au fil des minutes, des vapeurs d'alcool m'embrumant toujours le cerveau, je me demande si ce n'est pas mon imagination qui me joue des tours. Clotaire ne tromperait pas Calixte, et encore moins dans leur propre lit. Je sombre comme une masse sur ces dernières considérations sans prendre la peine de me déshabiller.
En début d'après-midi le lendemain, lorsque j'émerge enfin, le silence règne dans l'appartement. Je sors de ma chambre et appelle Clotaire, sans succès. Je me dirige vers la salle de bains et sursaute lorsque je le trouve allongé dans la baignoire, les écouteurs sur les oreilles. Je lui touche l'épaule et il sursaute à son tour.
— Putain Hélio tu m'as fait peur ! Qu'est-ce qui se passe ?
Je remarque immédiatement la petite lueur imperceptible dans ses yeux. Celle qu'il avait avant de rencontrer Calixte. L'étincelle de satisfaction qui s'allumait au lendemain de nos soirées, quand il arrivait à conclure.
— Ben rien, je te cherchais, j'ai appelé et tu répondais pas. Je m'attendais pas à te trouver baignant dans ta crasse à l'heure qu'il est. Je voulais prendre une douche.
— Je libère la place alors !
J'hésite un instant pendant qu'il enroule le fil de son casque et qu'il tend le bras pour le poser sur la machine à laver où repose déjà son lecteur.
— T'as rien à me raconter ?
Son visage se fend d'un immense sourire.
— Si, putain ! Laisse moi me rincer et j'arrive. J'ai levé une bombe hier soir, mais une vraie hein, catégorie bombasse !
Je sors de la pièce en secouant la tête et suis surpris qu'il n'essaie même pas de me cacher son écart. Lorsqu'il me rejoint, il me raconte que sa bombe se prénomme Calandra, et qu'elle faisait partie des stripteaseuses présentes dans la boîte la veille. Qu'elle lui a fait des choses qu'aucune autre fille ne lui avait fait vivre avant et qu'il doit la revoir le soir même.
— Et Calixte dans tout ça ?
— Elle est chez ses parents, mec ! Il n'y a aucune raison qu'elle l'apprenne.
— Donc tu comptes continuer à voir cette Calandra et ne rien dire à Calixte ?
— Exactement ! Faudrait être bien con pour se tirer une balle dans le pied ! J'ai dégoté une nana de compèt' aussi souple qu'une gymnaste, et ma copine est à l'autre bout de la France. Je serais débile de m'en priver !
— Je croyais que t'avais changé avec Calixte...
— Moi aussi, mais j'en ai plein le cul de jouer au petit couple parfait. Je me suis senti vivant pour la première fois depuis longtemps hier soir.
— Alors pourquoi tu restes avec Calixte ?
— Parce que c'est une chouette fille, j'ai pas envie de lui faire de mal.
— Et en jouant les queutards avec Calandra tu penses lui faire du bien, donc ?
— Si tu ne lui en parles pas elle n'a aucune raison d'être au courant. Alors disons que je ne lui fais pas de mal.
— Putain, tu changeras jamais...
Après lui avoir certifié que je ne parlerai pas de son écart à Calixte, plus pour la préserver elle que pour le couvrir lui, je range sommairement l'appartement. Depuis que Calixte est partie, nous avons repris nos vieilles habitudes et les pièces ont la fâcheuse tendance à se transformer en Tchernobyl au fil des jours.
Le soir même, nous retournons en boîte et Clotaire passe sa soirée la langue fourrée dans la bouche de Calandra. Ce qui sera désormais son programme pour les vacances. Mal à l'aise avec la situation, je finis par ne plus l'accompagner et reste seul chaque soir à ressasser les sempiternelles mêmes questions.
VOUS LISEZ
Calixte
RomanceClotaire rentre plus amoureux que jamais de son séjour à Londres avec Calixte, une étudiante timide qu'il a rencontrée dans l'Eurostar. Il l'installe dans la colocation qu'il partage avec son meilleur ami, Héliodore...