Chapitre 15

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Les premiers jours, les exercices font énormément souffrir Calixte, et chaque fois que je la soulève, ses jambes se pliant désormais, elle ne peut retenir les manifestations de sa douleur. Le chirurgien a volontairement choisi cette période pour le changement des coques car ce sont les vacances scolaires. Elle a donc quinze jours pour se familiariser avec ses nouvelles sensations. Je profite des premiers rayons du soleil pour la faire sortir au maximum pour des promenades dans ses quartiers préférés, l'accès aux bus étant maintenant possible. Ses séances de kinésithérapie se passent de mieux en mieux, et elle s'astreint à une heure trente d'exercices chaque matin et chaque après-midi, que j'effectue avec elle pour lui donner du courage, tantôt au parc, tantôt dans notre appartement. 

Petit à petit, elle retrouve son enthousiasme en même temps que sa mobilité. Les douleurs s'estompent et lorsque les cours reprennent, Calixte se jette à corps perdu dans les recherches à la bibliothèque pour rattraper le retard qu'elle a forcément accumulé ces derniers mois. Elle tient absolument à valider son année et travaille d'arrache-pied en faisant tous les travaux nécessaires. Je passe tout mon temps à ses côtés et j'en viens parfois à me demander à quoi je pouvais bien occuper mes journées avant qu'elle n'entre dans ma vie.

De temps en temps, elle me demande si j'ai des nouvelles de Clotaire et je lui réponds que non, sans plus de détails. Il est censé revenir pour la rentrée prochaine et j'espère que d'ici là, elle se sera fait une raison, et qu'elle l'oubliera.

Fin mai, Calixte et moi validons brillamment notre second semestre, et par la même occasion notre licence. Nous fêtons l'événement en tête à tête dans un restaurant du quartier, et dès le début du mois de juin, je reprends mon travail de serveur dans l'établissement qui m'emploie chaque été. J'ai négocié avec mon patron de ne faire que les repas du soir, afin d'avoir mes journées libres pour m'occuper de Calixte. J'embauche à dix-sept heures trente et débauche aux alentours de trois heures du matin, après le dernier service, mais me lève aux aurores en même temps que Calixte chaque jour. Je m'octroie une petite sieste après le repas de midi pour tenir le coup, mais m'organise comme il faut pour passer le plus clair de mon temps à ses côtés. Nous nous baladons chaque jour et je m'amuse à nous faufiler entre les touristes très nombreux en cette saison. Calixte prend des quantités de photos qu'elle s'acharne ensuite à retoucher, ayant ainsi un bon moyen de s'occuper seule sans avoir besoin de bouger.

Mi-juillet, elle subit une nouvelle opération visant à lui ôter toutes les plaques, broches et vis encore présentes dans ses membres inférieurs, et le chirurgien lui demande, avec l'aide de la kinésithérapeute, d'abandonner peu à peu l'usage de son fauteuil roulant au profit de béquilles. Contrairement à la fois précédente où elle avait fait une crise de panique, Calixte est visiblement ravie de la nouvelle et très volontaire lorsqu'elle quitte l'hôpital après trois jours de convalescence. Elle sent que la fin de son calvaire est proche et retrouve sa joie de vivre passée.

Malheureusement, les premiers jours sont compliqués, et malgré deux séances de rééducation par jour, la position debout est douloureuse pour Calixte, et elle redoute de tomber et de se briser à nouveau des os, encore très fragiles. Ysandre a prévu de venir tenir compagnie à son amie pendant trois semaines, car sa mère est prise en charge par un organisme de soins à domicile. Je profite donc de ce laps de temps pour doubler mes heures au restaurant pour gagner davantage, et Ysandre s'occupe de motiver Calixte, qui refuse désormais de sortir de l'appartement autrement qu'en fauteuil roulant. Elle n'utilise ses béquilles que pour se déplacer de sa chambre aux parties communes de la collocation, sans cesse stressée à l'idée d'une éventuelle chute.

Début août, lorsqu'Ysandre rentre en Bretagne, Calixte m'annonce qu'elle souhaite organiser une fête surprise pour le retour de Clotaire. L'idée de la voir découvrir la vérité sur son stage me donne la nausée mais je la laisse réfléchir à la soirée pendant quelques jours. Mais quand elle me demande les numéros de téléphone de Tancrède et Gaspard pour les inviter à se joindre à nous, c'en est trop, je lui déballe toute la vérité.

— Ecoute Calixte, il faut que je te parle.

— Qu'est-ce qui se passe, tu m'inquiètes, là ?

Je lui demande de s'asseoir sur le canapé et m'accroupis en face d'elle. Je prends ses mains dans les miennes et la regarde droit dans les yeux.

— Je ne pense pas qu'organiser une fête pour Clo soit une bonne idée.

— Pourquoi ? Il me tarde vraiment de le retrouver et j'ai envie qu'il remarque l'attention que j'ai eue pour lui.

— Il ne mérite aucun geste de gentillesse de ta part. Ecoute... je... j'aurais dû te le dire plus tôt...

— Il ne va pas revenir, c'est ça ?

— Si, si, il va revenir.

— Et ben alors ? C'est quoi le problème ?

Je me jette à l'eau en détachant mon regard du sien. Je le pose sur nos mains emmêlées.

— Il n'est pas parti en stage.

Comme elle reste silencieuse, je poursuis.

— Pendant que tu étais encore dans le coma, ou tout juste réveillée, je ne sais plus précisément, il a rencontré une fille qui vit en Suisse. C'est chez elle qu'il est depuis tout ce temps.

Elle repousse violemment mes mains. Je devine à son souffle saccadé qu'elle pleure mais je n'ose pas lever les yeux vers son visage. Elle se met debout, prend ses béquilles et son sac à main, et quitte l'appartement en claquant la porte.

Je ne cherche pas à la retenir, ni à lui courir après. Je sais qu'à cet instant elle a besoin d'être seule.

Je me dirige vers ma chambre, prends un grand sac et y jette négligemment des habits et affaires de toilette, et sors à mon tour. Dès que je suis installé au volant de ma voiture, j'envoie un message à Calixte.

« JE TE LAISSE L'APPART. NE M'EN VEUX PAS. PRENDS SOIN DE TOI. »    

CalixteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant