Chapitre 11

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Clotaire finit par décrocher à la cinquième sonnerie.

— Ouais Hélio.

— Salut Clo. Toujours en vie ?

— Putain commence pas comme ça sinon je raccroche direct.

— Arrête de jouer au con. Je sais pas où t'es, ni ce que t'as fait de la semaine, mais Calixte est réveillée et elle a demandé à te voir.

Il marque un temps d'arrêt, puis soupire.

— Je crois pas que ce soit une bonne idée.

— Moi non plus, mais c'est ce qu'elle souhaite elle, alors je pense que tu le lui dois bien.

Un nouveau silence se fait, comme si Clotaire pesait le pour et le contre dans sa tête.

— OK, je passerai la voir ce week-end.

— Ses parents et sa sœur seront certainement là.

— Ils sont au courant des causes précises de son accident ?

— Ben il n'y a que toi qui leur as parlé, donc ils ont les infos que t'as bien voulu leur donner.

— Je leur ai juste dit qu'elle s'était fait renverser par un chauffard. Ils voulaient porter plainte.

— Bravo, t'assumes toujours autant.

— Putain me cherche pas...

— Je te vois quand, sinon ? Tu vis où ?

— Là où on veut bien de moi, à droite à gauche. Je viendrai à la coloc tout à l'heure en fin de soirée, j'ai des trucs à récupérer.

Et il raccroche.

Lorsqu'il passe la porte de notre appartement aux alentours de minuit, il me réveille en sursaut, ayant lamentablement sombré devant la télévision, sur le canapé. Il s'assoit sur le fauteuil de gauche et regarde devant lui, les yeux tirés par la fatigue. Je m'étire et brise le silence.

— Comment tu te sens ?

— Curieusement, bien.

— Tu veux parler ou que je te foute la paix ?

— Ecoute, je sais déjà ce que tu vas me dire alors je vais faire court. Jusqu'à mercredi, j'ai dormi chez Calandra, et jeudi matin elle m'a saoulé avec ses questions à la con alors je l'ai plantée. Le soir, je suis sorti, je me suis pris une mine et je me suis réveillé ce matin chez une nana. Je me suis barré en douce de chez elle pendant qu'elle était sous la douche, je sais même pas comment elle s'appelle. Et ce soir, si t'es d'accord, j'aimerais bien me poser ici.

— C'est chez toi ici.

Je me lève et ferme la porte de ma chambre derrière moi sans un mot de plus.

Quand je me lève le samedi matin, la chambre de Clotaire est vide et je ne sais même pas s'il y a passé la nuit. Je traîne tout le week-end, seul, et regrette égoïstement que la famille de Calixte lui rende visite, m'empêchant d'être auprès d'elle. 

Lorsqu'enfin je la retrouve après les cours le lundi, je la trouve totalement transformée. Il ne reste que quelques égratignures sur son visage, et le masque et le tuyau qui l'aidaient à respirer ont disparu. Elle m'accueille avec un grand sourire et relève électriquement son lit pour se mettre en position assise.

— Salut ! Ça a l'air d'aller beaucoup mieux !

— Oui, chuchote-t-elle. En parlant comme ça, j'arrive même à discuter !

— Je suis vraiment content pour toi. Clo est venu te voir ?

Son sourire disparaît et je m'en veux immédiatement d'avoir posé la question.

— Excuse-moi, ça ne me regarde pas.

— Non, ne t'excuse pas. Il est venu ce matin. Il attendait que mes parents soient partis.

Elle marque une pause et je remarque l'immense tristesse qui voile tout à coup son regard.

— Il m'a dit qu'il ne savait pas quoi faire pour nous deux.

— Qu'est-ce que tu souhaites, toi ?

Une larme perle au coin de ses yeux.

— Je l'aime. Je crois que je pourrais finir par lui pardonner pour Alexandra.

— C'est Calandra en réalité.

— Oui peu importe, c'est une nom de pétasse. Calandra, Pétassa, c'est pareil !

Elle me surprend et nous rions ensemble. Je passe sous silence l'aventure de fin de semaine de Clotaire, supposant qu'il ne lui en aura pas parlé et ne peut m'empêcher de me réjouir intérieurement qu'elle n'ait pas relevé le fait que je connaisse moi aussi son prénom, preuve s'il en est que j'étais au courant de l'histoire.

— J'en ai vraiment marre d'être ici.

— On t'a donné une date de sortie ?

— J'ai posé la question mais on m'a répondu que c'était hors de propos pour le moment. J'espère que ce sera pour la semaine prochaine.

Je fais la moue.

— Ça me paraît prématuré.

— Je m'ennuie...

— Mais tu dois te reposer. Et tu es loin d'être guérie. Tu ne devais pas passer une radio ce matin, pour tes jambes ?

— Si. Il m'ont déplacée avec mon lit. Je ne comprends pas trop, je ne sens pas le bas de mon corps.

— C'est à cause des antalgiques.

— Ou alors on me cache quelque chose...

Je la rassure immédiatement.

— La moelle épinière n'est pas touchée, si c'est ce que tu sous-entends. Avec de la patience, du temps et de nombreuses séances de kiné, tu t'en remettras.

Elle soupire.

— Je sais pas si j'en aurai la force...

— Bien sûr que si ! Je vais me battre avec toi. Et t'as pas intérêt à me décevoir !

Elle sourit sans émotion.

— Déjà que Clotaire allait voir ailleurs quand j'étais entière et joyeuse, alors là ça va être un festival.

— La question qu'il faut que tu te poses c'est de savoir si tu es prête à supporter tout ça. Tu sais Clo est mon meilleur ami et je le soutiendrai toujours, mais avec les filles... Disons qu'il a une conception bien à lui du couple, et avant qu'il ne te rencontre, c'était... un festival comme tu dis !

— Je sais, il ne s'en est jamais caché. Je ne pense pas pouvoir supporter ses tromperies, mais d'un autre côté je sais que je suis incapable d'arrêter de moi-même notre relation.

Je la coupe pratiquement.

— Qui n'en est plus vraiment une.

— Tu as raison, mais pour l'instant je ne veux plus y penser. Parle-moi des cours pour me changer les idées !

Je lui raconte comment un des professeurs que nous adorons est resté accroché par la manche de son pull à un crochet du tableau et a fini les quatre fers en l'air sur l'estrade au beau milieu de l'amphithéâtre bondé. Je lui parle de nos camarades de promotion, lui rappelle leurs petits défauts dont nous aimions tant nous moquer en douce. Et je me risque à lui dire combien il me tarde de la retrouver à mes côtés. Cela signifiera certes qu'elle est sortie d'affaire, mais dans ma bouche, cela signifie beaucoup plus.

CalixteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant