Calixte

Chapitre 26

Je reste à l'écart pendant ce qui me semble être une éternité, mais l'apéritif débute juste, après un bref discours du père de Calixte, alors je suppose que peu de temps s'est en réalité écoulé. Depuis le perron où je suis assis, seul, je vois Calixte qui scrute la foule et me relève, pensant qu'elle est à ma recherche. Dès qu'elle m'aperçoit, son visage se fend d'un large sourire et elle accourt quasiment. Lorsqu'elle arrive à ma hauteur, je ne peux me retenir de l'interroger.

— Ça a l'air d'aller beaucoup mieux. Tu m'expliques ?

Elle prend ma main et m'attire à nouveau sur la marche. Nous nous asseyons, et alors que je pensais enfin être éclairé, elle garde le silence. Au bout de quelques minutes, elle est sauvée par sa sœur qui vient à notre rencontre pour nous apporter à boire.

— Alors, les retrouvailles se sont bien passées, non ? questionne cette dernière.

— Oui, très bien, tu peux pas savoir comme je suis soulagée. Finalement, il n'y a qu'oncle Henri qui se soit montré froid.

J'avale ma coupe de cocktail d'un seul trait, ce qui attire l'attention des deux jeunes femmes. Calixte me regarde, l'air soudain soucieux.

— Ça va, Hélio ?

— Super, oui.

Je me lève, dépose mon verre sur la balustrade en pierre et me retiens d'entrer dans la maison me mettre à l'écart. Je me dirige finalement vers le fond du jardin, comme irrésistiblement attiré par la vue sur l'océan. J'ai besoin de rester seul et comme toute la famille de Calixte est agglutinée autour des toasts, ce coin calme me semble l'endroit idéal. J'ai tout juste le temps de m'asseoir sur le muret qui surplombe les falaises que je sens les doigts graciles de Calixte se poser sur mon bras. Je ne me retourne pas et garde les yeux rivés sur l'horizon.

— Je crois que je te dois des explications.

Je ne réponds pas, même si j'ai parfaitement conscience que c'est puéril.

— Clotaire ne t'a vraiment rien dit à mon sujet ?

Entendre ce prénom dans sa bouche me fait réagir malgré moi.

— À propos de ?

Elle hésite.

— De... De mon enfance...

— Non.

Elle se tait et plus les minutes défilent, plus je sens mon agacement grandir, jusqu'à me faire carrément bouillir sur place.

— Bon Calixte merde ! Dis-moi ce que t'as à me dire parce que c'est en train de vraiment me gonfler.

Elle fixe à son tour son regard au loin sur un point imaginaire et m'annonce, comme si tout était limpide :

— Je m'appelle Calixte.

Je ris nerveusement.

— Sans blague ! Tu parles d'un scoop !

Elle marque un temps d'arrêt avant de poursuivre.

— Calixte... Calixte est un prénom... masculin.

— Et alors, de nos jours, les gens font n'importe quoi avec les prénoms qu'ils donnent à leurs enfants ! C'est quoi le problème ? Calixte te plait pas ? T'en veux à tes parents ?

— Tu ne comprends pas. Ou tu ne veux pas comprendre...

Elle se tourne vers moi et s'assoit à califourchon sur le muret, en m'invitant silencieusement à en faire autant avant de prendre mes mains dans les siennes. Elle baisse les yeux et rive son regard sur nos mains.

— Mes parents ont choisi ce prénom spécifiquement parce que c'était un prénom masculin. J'ai passé mon enfance à me faire traiter de femmelette, à ne me sentir à ma place nulle part, jusqu'à ce que j'arrive à poser des mots sur mon mal être à l'adolescence. Et le jour où les railleries n'ont plus été supportables, j'ai pris une décision radicale. Mes parents et ma sœur m'ont toujours soutenue, même si au fond je sais que ça n'a pas dû être facile pour eux d'assumer tout ça.

Je retire vivement mes mains des siennes et m'immobilise. J'ai l'impression de voir des rouages se mettre littéralement en place dans ma tête. La petite phrase anodine de Clotaire me disant que Rhéane était une vraie fille, la pudeur systématique de Calixte, les photos dans sa chambre... C'était sous mes yeux et je n'ai rien vu. Je n'ai pas su voir. Tant de questions affluent en même temps que j'en ai le tournis. J'enjambe le muret et, sous le choc, marche droit jusqu'à la maison. Lorsque j'atteins la chambre que nous avons partagée, je ferme la porte derrière moi et me laisse glisser jusqu'au sol, complètement sonné.