Passionnellement

16 : Benji

Son parfum m'enivre le nez, sa peau est douce. Je caresse du bout des doigts ses hanches. Mon corps frissonne. Je la désire. Elle me fait tourner la tête. Nos visages s'approchent l'un de de l'autre. Nez à nez, nos lèvres se font timides et finissent par se dévorer.

La sonnerie du téléphone retentit, elle me sort de ma rêverie. Qui peut bien m'appeler à cette heure ci ?

J'attrape mon téléphone. Vanessa. Déjà samedi soir elle m'avait appelé. Mais qu'est-ce-qu'elle me veut ? J'écoute le message qu'elle m'a de nouveau laissé ;

"Benji, c'est Vanessa. J'aimerais vraiment qu'on parle. Rappelle stp. Bisous"

Je la rappellerai plus tard. Ce soir j'ai rendez-vous avec monsieur Carven. Je me demande bien ce qu'il veut. Il ne m'a rien laissé sous-entendre.

Je passe ma journée à la maison des associations. La journée passe vite. Je suis dans mon monde. J'aime transmettre mon savoir-faire dans la musique.

- Dimitri, ne tape pas sur les touches du clavier. Fais glisser tes doigts le long des touches. Tu verras la tonalité sera plus jolie.

- D'accord Benji, mais j'ai encore un peu de mal.

- Réessaye. Cette fois-ci plus doucement. Tu arriveras mieux à les faire glisser. Tu apprendras ensuite avec la vitesse.

- Ok, c'est parti.

Le son de la mélodie redémarre. Dimitri est un jeune de 16 ans. Il n'avait jamais fait de musique jusqu'à, il y a 6 mois. Il a fait une tentative de suicide. Il n'arrivait pas à exprimer son chagrin. Sa copine est décédée dans un accident de la route. Un chauffard trop alcoolisé lui a refusé la priorité, elle était en scooter. Malheureusement, le coup avait été fatal. La psy de Dimitri lui a conseillé de s'extérioriser par du théâtre, de la musique ou du chant. Il est venu à l'association. Il était assis sur une chaise avec le planning des cours. Il pleurait. Je suis allé le voir. Il m'a expliqué. Il ne savait pas quoi choisir, ni si ça marcherait. Je lui ai proposé mon cours en essaie. Que ça ne tenait qu'à lui dévaluer son ressenti ensuite. Tout le monde est différent. Chacun ressort sa peine comme il le peut.
Il m'a d'abord écouté jouer un morceau, puis il a voulu essayer.
Bien sûr, ne connaissant pas l'instrument, ce n'était pas beau à entendre, mais il a aimé. Il a
souri. Il m'a dit qu'il voulait apprendre, peu importe le temps que ça lui prendrait.
Depuis il a évolué. Tout n'est pas parfait mais en 6 mois il a appris très vite.

Si j'aime tant le piano, c'est pour la douceur des notes. Ça m'a bien aidé moi aussi. À 14 ans, je voyais ma mère sortir chaque week-end, ivre, à chaque fois qu'elle rentrait. Elle revenait avec des mecs toujours différents. Je l'entendais rire aux éclats quand elle rentrait. Et j'entendais les cris de leurs rapports. Je ne voulais pas juger ma mère. Mon père l'avait laissée quelques années auparavant pour une jeune minette de 23 ans alors qu'il en avait 43. Du coup le piano a été pour moi la façon de ressortir ma colère, ma haine, ma tristesse.
Avec le temps, ma mère s'est faite soigner. Elle a eu le déclic après un malaise et un petit tour à l'hôpital. Elle a failli y rester. Elle n'a pas touché à une goutte d'alcool depuis plus de 6 ans. Elle a rencontré son nouvel amour lors des séances médicales aux réunions anonymes. Ils se sont entraidés dans leurs maladies. Ils sont maintenant guéris et heureux ensemble.
Mon père lui, est tout seul, malheureux d'avoir perdu ma mère. Il a toujours regretté d'être parti. Ma mère n'a jamais voulu lui pardonner. Elle a eu raison.
Il a déchiré notre famille, il ne peut s'en prendre qu'à lui.

Aujourd'hui, je suis heureux de pouvoir transmettre mon don pour la musique à d'autres personnes.

- Voilà Dimitri. Comme ça, c'est plus joli.

- Oui mais c'est très lent.

- La vitesse viendra ne t'en fait pas. Chaque chose en son temps.

- Merci Benji

- La semaine prochaine on travaillera à nouveau sur ça.

Ma journée à l'association est finie. Je dois enchaîner sur mon rendez-vous.

- Bonjour M. Carven.

- Bonjour Benji. Tu veux un café ?

- Non merci

- Installes-toi !

Il m'indique la chaise de son bureau. Je crois bien que c'est la première fois que nous avons un rendez-vous aussi sérieux. Même pour mon embauche, nous avons fait ça derrière un verre au bar.

- Benji, tu sais à quel point j'apprécie ton travail. Les gens aiment ton style, ta façon de mixer, ton énergie.

- Oui, ça je le sais. J'ai fait une boulette quelque part ces derniers temps ?

- Non loin de là. J'avoue ce week-end tu avais l'air à l'ouest, mais notre entretien n'a rien à voir avec ça.

- Je ne comprends pas alors. Pourquoi cette convocation ?

- J'ai acheté des parts dans un hôtel à Ibiza.
Là-bas c'est la fête tous les soirs. Nous avons besoin d'un DJ renommé. J'ai de suite pensé à toi. Tu as l'expérience qu'il nous faut. Et tu gagneras beaucoup plus en allant travailler là-bas.

- Et ici alors ?

- Alors j'ai deux propositions à te faire ; soit, tu pars pour toute la semaine là-bas week-end compris et c'est là où tu te fais un max de blé. Soit, tu fais la semaine et tu reviens ici pour le week-end. Mais là, tu auras tes allers et retours à payer. À toi de voir.

- C'est pour commencer quand ?

- Dans un mois et demi.

- Vous me prenez de court Monsieur Carven.

- Je sais ! Tout est précipité mais j'ai besoin de toi Benji.

- Vous me laissez le temps de la réflexion quand même ?

- Bien sûr, mais ne tarde pas.

- D'accord. Et niveau logement si j'acceptais comment ça se passerait ?

- Tout est prévu ! Tu logeras sur place le temps de trouver ton bonheur. Fais vite Benji ! La place est chère. Ça ne se reproduira pas deux fois.

- Je vous dis quoi la semaine prochaine. Au revoir Monsieur Carven.

- Salut Benji, à demain soir.

Cette proposition me fait des booms dans le coeur. Il y a quelques mois je n'aurais pas hésité une seconde à lui dire oui. Aujourd'hui je suis perdu. Je ne sais plus ce que je veux.
Je pense à elle,... mais aussi à mes élèves de l'association,... je ne peux pas les laisser tomber comme ça ! C'est quand même mon rêve depuis toujours. DJ à Ibiza. Si je n'y vais pas, je vais sûrement le regretter ! Mon Dieu quelle décision,... !