Lysa - 23 -

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Toujours en nous référant au guide touristique, j'ai choisi le restaurant Da Mamo. Il touche ma sensibilité de par sa décoration, sa chaleur, aussi, d'un calme à veiller un corps funèbre.

Le bruit de pas léger des serveurs couvre à peine le tintement irrégulier des ustensiles. L'un d'eux, nous parlant doucement d'un Français courant, nous apporte nos pizzas aux légumes grillées.

Ces dernières, surdimensionnées, doivent bien mesurer 40 cm de circonférence. Le fromage s'effiloche à perte de vue, quant à la pâte, elle est tout simplement divine et fondante.

— C'est vrai qu'elles sont très goûteuses. Je ne regrette pas d'avoir fléchi devant ta tocade de petite fille.

J'observe l'homme merveilleux assis devant moi enfourner avec appétence un second morceau dans sa bouche.

— Mes parents vont venir à la maison. Ils aimeraient faire ta connaissance.

Ethan met carrément les pieds dans le plat.

Je redoute cette rencontre qui devrait être puissante. Nous n'avons pas les mêmes racines, j'ai séparé deux cœurs, rompu un mariage, rendu leur famille malheureuse.

— Je ne pense pas que ta mère soit ravie de me voir habiter chez toi.

— Je te préparerais à affronter son taux d'exigences et de grandes critiques.

— Et si tu arrêtais dans l'absolu de me zapper le moral ? Cette discussion ne fait que raviver un douloureux souvenir.

— On a fait le tour de tous les pires cauchemars. Que pourrait-on encore traverser ?

— Tu as tout de même passé la frontière pour divorcer et obtenir un face-à-face avec celle qui t'a mise au monde afin de rester à mes côtés.

— Elle n'a tout simplement pas compris ma décision.

— J'aspire juste, que la collision ne sera pas trop brutale. Je vais donc prier avec ferveur afin que nos invités se montrent avenants et accueillants. Que fait ta sœur ?

Ses yeux désignent mon assiette, m'intimant en silence de terminer. Je cède et enfourne une autre bouchée, devant le plaisir qu'il a de regarder une fille en sous-poids dévorer un plat. Un peu le reflet de ce que je suis devenue.

— Angie est une jeune femme fraîche âgée de 26 ans qui dirige des agences de mannequins aux US.

— Intéressant. Une unité parfaite avec maman Laura. Tes grands-parents ?

— J'ai connu mon grand-père par quelques photos. Il est décédé avant ma naissance.

— Et ta grand-mère ?

— Elle nous a inculqué le respect de soi et des autres, nous écoute, donne son avis en argumentant sans nous juger. C'est l'opposé total de ma famille qui est sans cesse dans la critique.

Lui a-t-il parlé de moi ? L'a-t-elle conseillé à mon propos sur notre relation ?

— Viens le jour de mes 18 ans où mon père Wilson m'a attrapé par les épaules et m'a dit : mon fils, tu es un homme, maintenant. Tu dois arrêter de faire le mariole et penser à ton avenir. Tu passeras tes lendemains avec moi sur les routes. Tu vas découvrir ce qu'est la vraie vie.

— Tu es donc resté dans l'ombre depuis tes 18 ans, le temps qu'il t'apprenne à tirer les ficelles ?

— Jusqu'à sa retraite. C'est à mes débuts que j'ai rencontré Owen, son second, forcément le mien. Je menais la barre, il hissait la voile. On s'est très vite entendu, puis au fil du temps, avons créé des liens étroits.

— Une amitié qui vous a conduit dans les bars à la conquête de jolies filles.

— Jalouse, rit-il. Même s'il y en a eu des tas d'autres, je n'en connais qu'un seul qui va bien au-delà de ce que je ressens.

Son regard devient si sombre que j'ai la sensation d'être prise au piège dans une houle déchaînée.

Mon cœur se met à battre plus fort tout en chantant l'hymne à l'amour. Je suis heureuse, éprise plus que jamais de cet homme.

— Et toi ? Tu en as eu beaucoup après... L'autre enfoiré ?

Nous aurions pu converser d'un sujet plus serein, mais depuis qu'Ethan a trouvé cet outil tranchant dans mon sac à main, il a décidé d'ouvrir la porte des enfers. On dirait qu'il fait un sort à nos problèmes.

Je choisis de discuter du passé sans avoir peur de souiller mon intégrité.

— Il se prénomme Sam. Cesser de parler de lui ne l'isolera pas de ma mémoire.

— C'est oublié que tu dois...

— On ne peut pas faire comme si de rien n'était. Cet homme est devenu un sujet tabou entre nous et je ne veux pas qu'il le soit.

Ses mains écrabouillent la serviette de table en tissu posée sur ses cuisses et la jettent brutalement dans son assiette encore remplie.

— Doit-il mériter cet échange violent de paroles et cette opposition ? Ce n'est pas en l'ignorant que les événements s'arrangeront, c'est en les affrontant qu'ils se calmeront.

— Bien sûr, de cette manière, on réitérera les mêmes faits comme quand tu es retourné chez toi pour chasser tes démons. Je te consolerai inlassablement chaque fois que tu parleras de Sam.

— C'est minable ce que tu dis.

— Non, c'est la réalité, Lysa. Je ne parviens pas à passer outre ce qu'il t'a fait... c'est comme ça. Tu peux me reprocher de le traiter de tous les noms d'oiseaux, c'est au-dessus de mes moyens.

Peut-être a-t-il raison ? Je devrais lui en vouloir à mort et à sang de m'avoir infligé tous ces maux, seulement, je n'y arrive plus. Mon séjour en détention m'a donné un nouveau cap dans la vie et a relativiser les situations. Ce n'est pas en me cachant de mes démons ou en essayant de les éviter que je me sentirais mieux. Au contraire, je dois en parler, car ils font partie de mon existence, toutefois, Ethan n'est pas de mon avis.

— Je ne tiens en aucun cas à le protéger ou autre. Si je t'ai fait penser le contraire, j'en suis désolée... Nous allons changer de sujet.

— Tu fuis ? Tu ne les affrontes plus ? Il faut que l'on soit sur la même longueur d'onde. Si tu prends sans cesse une voie différente, je n'arriverai jamais à te suivre.

— J'ai évolué en prison. La vie je la vois autrement, et cette mutation en fait partie.

Les yeux écarquillés d'étonnement, ses deux mains frottent son derme avec tant de fermeté qu'il marque son visage.

— J'ai dû avoir une perte de connaissance une fraction de seconde, ou j'ai vraiment mal compris ce que tu viens de me dire. Il y a peu, tu voulais à tout prix les évincer à t'en rendre malade, maintenant, tu comptes communier avec ?

— Plus, je les repousse, plus, il s'accroche à moi. Alors oui, nous allons vivre ensemble.

— Dois-je encore revêtir ma tenue de super héros ?

— Chasse le passé, il revient au galop. Cela ne fonctionne plus... enfin presque. Je m'y suis préparée ces derniers mois, je peux dire que les gros nuages se dissipent pour laisser place au soleil. Fais-moi confiance, s'il te plaît.

— Je crois trop en toi justement, pour ne pas voir ce qui ne tourne pas rond dans ta petite tête. Quand j'y pense, c'est la débandade dans mon cerveau. Comme si les orages de la haine se déversaient en moi.

— Je suis en pleine guérison, ne me fais pas ça.

— Ne me fait pas quoi, Lysa ?

— Je me sens bien, ne gâche pas tout...

Aussi étrange que cela puisse paraître, je ne suis pas anxieuse de la tournure de la discussion qui dans le passé m'aurait retranchée sur moi-même. Mais quoi qu'il en soit, il n'est pas encore prêt à faire son deuil, contrairement à moi qui ai déjà entamé la phase de convalescence.

L'envie d'aimer - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant