Chapitre II

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« Je crains que nous ne nous soyons guère présentés ? » énonçai-je, un brin inquisitrice.

La femme prit la parole, intimant l'ordre de se taire à son compagnon. Elle se présenta sous le nom de Nalla Kebet. Son mari Athus et elle furent, apparemment, engagés par mon géniteur pour veiller sur moi à la cour du duc. En d'autres termes mon père m'avait affublée de deux chaperons pour surveiller ma conduite et m'empêcher de faire ce que je désirais. J'étais on ne peut plus contrariée d'avoir été ainsi trahie par mon propre paternel et par la petitesse du rang des deux énergumènes qu'il avait choisis. Je les observai rapidement, ils étaient pauvres, ils appartenaient sûrement à la plus basse classe possible, cela pouvait se voir à des lieues tellement ce fut flagrant. En effet, leur teint plus que hâlé et l'état catastrophique de leur peau confirmaient mes hypothèses. Nalla avait un visage tout rond et de très courts cheveux noirs qui lui donnaient un air bouffi. Elle était fort laide bien qu'elle eût – et cela m'étonna vraiment – des yeux bleus de la même couleur que le ciel. La femme portait fièrement une robe grossière en laine grisâtre tachée et trouée par endroits. Je devinai son énorme ventre au travers de l'épaisse couche de vêtement. Elle attendait vraisemblablement un enfant et je détournai les yeux vers son mari, dégoûtée par la difformité et la monstruosité de son corps. Athus, à l'instar de son épouse, était robuste et possédait des épaules carrées ; pas comme mon père et son corps frêle et chétif. Il avait une grosse barbe noire, comme ses petits yeux qui semblaient fermés. Le couple partageait de très nombreuses caractéristiques physiques communes et cela ne m'aurait guère étonnée s'il s'avéra qu'ils appartinssent tous deux à la même famille. Des cousins germains sûrement mais cela je n'en savais absolument rien.

Je ne leur prêtai pas tant d'attention, j'étais en fin de compte bien trop occupée à chercher une place confortable car le fiacre, en plus d'être atrocement exigu, était violemment secoué par les nombreux trous et nid-de-poule qui se trouvaient sur la route. C'était tout bonnement infernal et pour parer ce profond ennui je me mis à rêvasser sur ma future vie à la cour. Allais-je rencontrer de charmants jeunes garçons prêts à tout pour me séduire ? Sans aucun doute, j'étais persuadée qu'ils seraient tous prêt à se damner rien que pour un simple regard de ma part. Pathétiques petites créatures, ils seraient en totale admiration face à ma prestance. Je devrais ruser pour contrer les intrigues lancées par mes rivales, il fallait se l'avouer ces dernières ne feraient pas le poids face à moi. Je devais trouver un mari digne de ma personne, un mari possédant beaucoup d'argent, de terres et surtout de pouvoir. La beauté physique n'était pas ce qui comptât le plus pour mes fiançailles, après tout, les amants étaient faits pour combler le manque de joliesse dans un couple.

Mes pensées furent coupées à chaque instant par Athus qui demandait à sa femme si tout allait bien, si elle n'avait pas de douleur due à la rigidité des sièges ; il craignait qu'il y eût un risque pour le futur né. Ce fut d'un grotesque, le seul risque possible était pour le siège qui allait sûrement finir déformé sous le poids écrasant de Nalla. Ils me dégoûtaient tous les deux. Je ne les connaissais pas et je ne voulais pas les connaitre. Je ne les aimais pas, je ne voulais pas d'eux et je devrais trouver un moyen de me débarrasser de leur présence dès que possible. Eléonore de Chavigny n'avait pas besoin de quelqu'un pour lui mettre des bâtons dans les roues. Je fus tellement absorbée par mes réflexions que je ne remarquasse même pas que les montagnes enneigées avaient laissé place aux plaines depuis longtemps. Nous nous étions fort rapprochés de la capitale et je ne savais pas depuis combien de temps le voyage avait commencé. Je regardai le paysage, des paysans labouraient leurs champs poussiéreux, leurs dos à la merci des rayons du soleil. Ces personnages furent d'une grossièreté sans nom, à notre passage ils ne daignèrent même pas relever la tête. Je fus on ne peut plus outrée par ce comportement inacceptable. Une autre chose que je n'eusse guère remarquée, la stabilité de la route. Nous avancions sur la route principale, celle qui menait à la capitale et qui était régulièrement entretenue. Il faisait si beau et chaud en ces lieux que je retirais l'épais châle posé sur mes épaules et, lorsque je jetai un coup d'œil dehors, je fus absolument stupéfaite. Je pouvais apercevoir les remparts de la capitale d'où j'étais. Ce fut incroyable ! Nous étions presque arrivés. Cela voudrait dire qu'un peu moins d'une demi-journée s'était écoulée, le trajet entre mon château et la capitale mettant approximativement ce temps-là.

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