Le manoir avait été en ébullition toute la journée. Les domestiques avaient couru dans tous les sens, comme des fourmis, chacun ayant reçu des directives bien précises. La raison d'une telle excitation était tout simplement le tragique évènement qui s'était produit la veille, lors du tournoi. En effet, je revoyais encore, avec une exactitude si intense, la lance d'Adam – dissimulé alors en monsieur du Mar, d'ailleurs, laquelle de ces identités étaient la vraie ? – transpercer la cuirasse dorée de son adversaire. Je revoyais le sang de Philippe jaillir et se répandre sur le terrain poussiéreux en une flaque à mi-chemin entre le rouge foncé et le marron. Sa sœur, Holie, s'était précipitée à ses côtés, délaissant totalement les règles de bienséance et de courtoisie. Philippe Raisse n'était pas mort mais il s'était retrouvé dans un très piteux état, entre la vie et la mort. Quelques secondes après l'acte qu'il eut commis, Adam profita de la foule rassemblée autour de la victime pour disparaître, s'évaporer sans laisser une seule trace de son passage. Il était désormais hautement recherché dans tout le duché mais je savais que personne ne le retrouverait, au fond de moi j'en étais intimement convaincue. Ainsi, dans de telles circonstances, le duc avait décidé d'annuler le spectacle suivi de la comédie initialement prévu pour aujourd'hui. Le bal final, censé clôturer ces trois jours de festivité, se retrouvait reculé d'une journée. Je fus scandalisée devant le capharnaüm qu'était l'organisation, si bien que je ne savais point ce qui était organisé et ce qui ne l'était pas. J'avais donc été dans l'obligation de me préparer pour ce soir, avec des effets des plus resplendissants, tout ça parce qu'une simple personne s'était retrouvée en mauvaise posture, le raisonnement du duc m'échappait totalement. J'espérais de tout cœur que Holie fût trop occupée à s'inquiéter pour son pathétique frère et que, de la sorte, je ne la visse point à cette festivité. J'étais lasse de devoir toujours jongler avec les personnes que je ne portais pas dans mon cœur, d'abord avec feu Nalla – que son âme brulât en compagnie de la divinité de la mort Nyadis – et maintenant avec Holie. En réalité, sa présence ne m'aurait pas tant dérangée si elle n'avait point tenté de me dérober mon prétendant. Une fois ma place assurée je pourrais m'amuser pleinement en lui rappelant là où elle avait échoué. Personne ne tentait de voler la place d'Eléonore de Chavigny, personne, je ne ferais pas la même erreur que mes ancêtres.
Comme d'habitude j'avais laissé faire Yrille pour me coiffer et m'habiller. Cela était pratiquement devenu un réflexe pour elle. Ma domestique avait vraisemblablement un don pour me sublimer, je ne savais pas comment elle le faisait mais ce fut quelque chose d'indéniable. Quand elle eut tout fini je me rendis compte que j'étais contente de l'avoir avec moi pour ce genre de choses et que je lui portais tout de même une certaine forme d'affection. Cela ne me ressemblait certes pas et surtout je ne savais guère comment l'expliquer, mais cela n'avait pas d'importance au fond. Alors qu'elle s'apprêtait à retourner dans sa chambre située à un étage supérieur je décidai de lui parler de mon présent. Dans mon extrême bonté j'avais voulu la récompenser pour son bon travail, elle était peut-être payée pour cela mais son efficacité méritait bien quelque chose en prime.
« Vous trouverez dans votre chambre un paquet, il contient une robe et de quoi vous embellir. Je vous ai fait avoir une invitation pour le bal, vous aurez le droit d'être qui vous voulez en cette soirée.
— Veuillez m'excuser mademoiselle ? balbutia-t-elle, ne comprenant pas.
— Allez-y, allez vite vous préparer pour tout à l'heure, vous l'avez bien mérité je trouve », dis-je en ne détournant pas le regard de mon miroir.
Ma servante m'expliqua qu'elle ne savait pas comment me remercier, que j'étais bien trop bonne à son égard. Je me contentai juste de lui rappeler que le temps s'écoulait, lentement mais sûrement, et qu'elle ne devrait pas le gaspiller ainsi en vaines paroles. La priorité d'une femme devrait être de se faire belle en mon opinion.
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Courtisane
FantasyEléonore de Chavigny est la fille unique d'un noble désargenté. Désormais en âge de se marier, son père l'envoie chez le Duc d'Aulan avec tout l'argent qu'il leur reste dans l'espoir de trouver un bon parti. Plaçant toute sa confiance en sa fille, l...