Chapitre XX

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Cela faisait désormais plus ou moins longtemps que je le regardais dormir paisiblement. J'avais perdu le compte du temps, tout semblait s'étendre dans la durée en sa présence pourtant cela était trop prompt à se terminer. Incapable de faire quoi que ce fût j'étais restée là à l'observer – que disais-je ? – à l'admirer pendant son profond sommeil. Il était si beau, si intriguant, si envoûtant, je ne pouvais lui résister. Non. Cela ne me ressemblait en aucun cas. Etais-je en train de faiblir ? De me laisser aller, de céder aux passions engendrées par un homme ? Non cela n'était pas possible, cela n'était pas bien, cela ne pouvait pas arriver. L'était-ce donc ? J'étais si confuse, si perdue, je ne savais pas où bien donner de la tête. Quelle tragédie ! A qui donc étais-je en train de mentir sans vergogne ? Eléonore de Chavigny, la belle Eléonore, la ravissante Eléonore entre les griffes de la chose la plus perfide qui fût. De toute façon il était vraisemblablement impensable que je pusse l'aimer, non. Je ne connaissais presque pas cet homme, pour ne pas dire que je ne le connusse pas du tout. Nous avions si peu conversé ensembles qu'il m'était un étranger sur bien des points et je m'étais offerte à lui sans même y songer par deux fois avant ! Je l'avais laissé revenir me rendre visite à plusieurs reprises, je l'avais laissé m'emporter dans d'autres univers inconnus de plein gré et je ne pouvais même pas excuser ce don de ma vertu si peu mérité par de l'amour. Ces « coups de foudre », ces « amours transcendantes au premier regard » qui nous étaient contés dans les balades les plus fameuses, par les musiciens les plus romantiques, n'étaient que des idioties inventées pour conforter les demoiselles un peu trop fleur bleue en mal de galanterie.

Je ne faisais pas partie de ces idiotes écervelées, je n'étais pas comme Holie et sa suite de filles étourdies. Non, j'étais une jeune femme intelligente, brillante, ambitieuse, je savais pertinemment ce que je voulais et ce que je faisais. Un amant qui n'était pas dans ma vie dans un but purement pratique se révèlerait bien trop dangereux et indélicat pour mes plans futurs et ma stature. Après tout, pourquoi restai-je avec Adam si ce n'était à cause d'une très vive attirance ? Il n'avait pas de pouvoir ni d'influence, il ne m'aidait pas à obtenir ce que je désirais, il était ce que je qualifiais un amant de « cœur ». Posséder un tel type d'amant donnerait aux autres personnes, à ces ennemis, mes ennemis aux masques souriants et hypocrites, un moyen direct et sans détour de m'attaquer en plein cœur. Adam s'établirait plus comme un obstacle, une entrave à mon bonheur, qu'à un allier de ce dernier. Mon Adam se transformerait en épée de Damoclès qui menacerait le précieux équilibre sur lequel ma ravissante tête reposait. Je devrais mettre un terme au commerce que j'entretenais avec mon amant pour notre bien à tous les deux. Pour mon bien en réalité, je ne devais pas oublier que les autres ne comptaient pas tant que ma réussite était assurée.

Pourtant, alors que ce tourbillon de pensée s'était emparé de mon esprit, qui était on ne peut plus fatigué, mon cœur qui contrôlait mes mouvements à ce moment-là – j'en fus persuadée – n'avait pas stoppé les caresses que ma main déposait sur le torse paisible de mon amant. Je trouvais cela étrangement relaxant de contempler le mouvement régulier que faisait la poitrine musclée de mon compagnon, qui se gonflait et se dégonflait à chacune de ses respirations. J'aurais pu rester là indéfiniment mais je revins à mes pensées. Ce contraste net, ce conflit d'intérêt entre mon cœur et ma raison me déconcerta grandement ; cela était comme si l'un refusait de comprendre l'autre malgré ses arguments implacables. Heureusement pour moi, j'avais un semblant de contrôle sur moi-même – du moins je le pensais. Je savais, au fond, tout au fond, ce qui valait le mieux pour ma personne. J'étais décidée et rien ne me ferait changer d'avis, je n'avais de toute manière pas vraiment le choix. J'étais intimement convaincue que cela ne l'attristerait pas plus que ça en fin de compte – bien que ma perte serait une véritable tragédie tout de même ! – ou que du moins il comprît le motif de cette décision qui m'était très simple. Dans le cas contraire je resterais de marbre s'il se mit à m'implorer de le garder auprès de moi, les dés avaient été jetés bien avant notre rencontre. Mon objectif ne me permettrait aucun écart, du moins pour l'instant.

CourtisaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant