Chapitre XXI

150 19 0
                                    

La nouvelle que mon amant m'eût apprise me laissa toute ébranlée. Je devais avouer que je ne m'attendais absolument pas au fait de partager mon lit avec un scélérat, un assassin, un meurtrier. Cela m'angoissait profondément – me terrifiait même – et pas tant parce que ma chaperonne fut sa victime, non. Je me demandai sincèrement ce qui avait pu l'empêcher de mettre fin à ma vie ? Il disait l'avoir fait pour moi, pour me rendre service... Mais il était connu que ces gens-là souffraient de troubles mentaux et qu'ils n'obéissaient pas à la raison. Que pouvait donc l'empêcher de revenir me voir et de mettre un point final à ma douce existence ? Absolument rien, non, absolument rien ne le retenait de m'assassiner comme il l'avait fait avec Nalla. C'était cela qui me terrorisait en fin de compte, je devrais faire très attention parce que ma magie plus que douteuse ne m'aiderait très certainement pas. En proie à de si sombres pensées j'étais décidée à rester enfermée dans mes appartements pendant une journée toute entière, sans recevoir une seule visite ni prendre un simple repas. Cependant l'irruption brutale de ma domestique dans mon cadre de vie contrecarra mes plans. La grosse débarqua à bout de souffle dans mon salon alors que j'étais très occupée à admirer ma beauté. Se dérobant à mon regard furieux, Yrille bafouilla de manière, pour ainsi dire, inaudible :

« Mademoiselle, sa majesté, la grande duchesse d'Aulance vous invite expressément à lui rendre visite cet après-midi dans son salon pour converser sur des sujets de la plus grande importance. »

Je me retournai vivement vers elle. Avais-je donc bien entendu ? La duchesse Matildha désirait me voir ? Mais pour quelle raison ? Nous n'avons rien sur quoi parler. Cette invitation inattendue me troubla au plus haut point. Je me levai rapidement de ma coiffeuse et quittai la douce chaleur du soleil pour rejoindre mon immense armoire. Je devais trouver une belle robe qui me mettrait en valeur devant cette étrangère au physique attirant. J'optai pour une robe bouffante d'un bleu royal qui me seyait tout particulièrement bien – même si toutes les couleurs me seyaient à la perfection. J'ordonnai à ma servante de m'habiller pour mon rendez-vous de la plus haute importance. Avec la vitesse d'un éclair Yrille m'aida à enfiler ma robe tout en arrangeant ma coiffure de sorte à ce que je fusse en position de faire jalouser la princesse talvénienne. Je commençai véritablement à porter un quelconque respect à ma domestique. Son physique était certes atroce à regarder mais ses doigts de fées méritaient tout de même quelques compliments. Ainsi, je finis par quitter mes appartements comme convenu en début d'après-midi. J'avançai avec assurance dans les couloirs, je savais pertinemment où je me rendais : à l'étage sous-jacent au mien. Pourtant j'éprouvai un certain malaise à l'idée de me trouver ici car la dernière fois que j'étais venue à cet étage ce fut lors de l'invitation à souper du duc, invitation qui – à mon plus grand regret – avait doublement dérapé. Avec sa femme de retour je ne pensais pas vraiment recevoir de futures lettres de sa part, du moins pas dans un futur proche. Je n'en avais cure, j'aurais tout le loisir de le séduire une fois mariée avec Ethan. Je traversai tout l'étage pour finalement retrouver le lieu de mon rendez-vous. Deux gardes, massifs et immobiles comme deux statues de bronze, gardaient la porte de la duchesse. J'étais fascinée et à la fois outrée par leur comportement imperturbable ; pas à un seul moment ils ne baissèrent les yeux vers moi, comme si j'étais totalement absente du décor. Pourtant nous ne pouvions pas me rater tant je brillais dans cette ravissante robe. Une servante finit par venir m'accueillir et me fit pénétrer chez la princesse.

Cela était d'une toute beauté. Son salon – à ce moment vide de toute présence humaine – était dans des tons très chauds avec du mobilier de très grande qualité. Une énorme baie vitrée laissait entrer le soleil qui irradiait toute la pièce de ses bras chaleureux. Ce qui attira le plus mon attention fut un portrait de famille qui trouvait sa place au-dessus du gigantesque âtre. Je reconnus le prince Tristan et la duchesse. Un troisième homme, un peu plus grand que le prince, se trouvait tout à gauche. Je ne le connaissais pas, qui pouvait-il bien être ? Un autre frère ? Cet homme ressemblait plus à Matildha qu'à Tristan, avec qui il ne partageait aucun trait facial commun. Je soupçonnai le roi de Talvel d'avoir eu plusieurs mariages, deux au moins. Le tableau était vraisemblablement récent tant les portraits respectaient la famille souveraine. En arrière-plan, surplombant les trois enfants, le couple royal témoignait de leur emprise. Une certaine austérité se dégageait du visage impassible du roi tandis que chez la reine on retrouvait plutôt une certaine douceur et une personnalité humble. J'enviais la couronne de cette dernière, sertie d'une infinité de pierres précieuses plus resplendissantes les unes que les autres. Comment serait ma couronne lorsque je serais déclarée comtesse de Virrhe ? Plongée dans mes réflexions je ne remarquai pas que la princesse vînt me rejoindre dans la contemplation du tableau.

CourtisaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant