Chapitre V

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Telle une furie je pénétrai dans le bureau de l'intendant. Ce dernier semblait en pleine concentration, le nez plongé dans d'innombrables feuilles de papier remplies de chiffres qui jonchaient sa table. Sa plume faisait des mouvements que je jugeai désordonnés, nous aurions plutôt dit qu'il gribouillait des choses incompréhensibles sur ses feuilles. Je l'observai quelques temps en silence puis je fus contrainte et forcée de me racler la gorge pour que monsieur s'intéressât à ma présence. Alors qu'il ne fut déjà pas très haut, il dégringolait les étages de mon estime à une vitesse folle. Etard Massel finit par relever la tête et, à ma vue, un grand sourire hypocrite apparut sur son visage perfide. Avec un ton cordial il me demanda ce qui m'amenât à lui rendre visite. Et ce fut sur une note beaucoup plus dramatique que je lui répondis :

« J'ai eu vent de quelque chose monsieur Massel. »

Suite à mes paroles il posa sa plume sur l'encrier et me donna toute son attention. Je lui rapportai ce que les filles m'eurent avouée. Et alors que je m'apprêtai, avec un air courroucé, à lui expliquer que ce fut inadmissible ; il farfouilla dans son capharnaüm et me remis un tout petit papier doré et bordé de rouge. Mon invitation au « bal de fin d'été », l'intendant s'excusa pour le délai mais il m'avoua qu'il eût tout de même prévu de me le remettre avant la fin de la journée. Le tout avec le même sourire hypocrite qu'au départ. Il savait y faire avec les nobles, cela se voyait. Il remonta légèrement dans mon estime, je ne le détestais plus, je m'en méfiais désormais. Il me demanda si j'eus quelques questions quant à ce bal et je m'empressai de me renseigner sur les invités. En aucun cas je ne désirais mes chaperons, ils ne devaient pas me mettre des bâtons dans les roues. Etard me rassura, seuls les nobles et les personnes suffisamment riches pour payer l'entrée étaient autorisés. Bien évidemment les domestiques seraient présents pour nous servir mais je ne devais pas me faire un sang d'encre, je ne serais pas importunée par mes geôliers si je ne le désirais pas. Ses paroles me firent sourire, si je n'avais pas à m'inquiéter pour cela tout allait bien.

« C'est parfait dans ce cas ! Je vous remercie, passez une très bonne fin de journée monsieur.

— C'est vous que je remercie mademoiselle, à vous de même », me dit-il avec gentillesse avant de replonger dans ses nombres.

Je le laissai vaquer à ses occupations et ressortis de son bureau, je caressai le mot avec une incroyable délicatesse, c'était mon billet pour la gloire. Je marchais gracieusement dans les couloirs avec une stature hautaine comme à mon habitude et là, je revis le groupe de nobliaux que j'eus entraperçu précédemment. Plongés dans une vive discussion ils se turent tous lorsque je passai devant eux comme le ferait une déesse vivante marchant parmi ses adorateurs. Ils me fixaient tous intensément, subjugués et captivés par mon incroyable majesté. Tous ne se gênaient pas pour m'admirer sauf le magnifique inconnu. En revanche, lui, je le remarquai, me regardait du coin de l'œil. Comme ce fut mignon, il me désirait, j'en étais persuadée, mais il était sûrement bien trop fier pour se l'avouer. J'étais déjà au courant pour tout à l'heure donc il n'eut pas besoin de se cacher de la sorte. Mais, piquée dans ma vanité, je décidai de jouer à son petit jeu et ne lui adressai pas un seul regard direct ; par contre je ne m'empêchai absolument pas de sourire aux autres garçons. Ce fut tellement dur. Le temps semblait ralentir, j'aurais même aspiré à ce qu'il s'arrêtât net. Il était si beau et son visage angélique me fascinait, mon cœur battait la chamade. Pourquoi cela m'arrivait-il ? Quelle était la raison d'une telle exaltation ? Je ne comprenais pas pourquoi il me fit cet effet, je désirais lui parler, il était tant intriguant. Non, je devais me reprendre en main, me ressaisir, un garçon ne me déconcentrerait pas. Je me fis violence et appliquai un masque de marbre sur mon doux visage ; je devais leur montrer à tous que je n'étais pas une fille aisément atteignable, que l'on ne m'eût pas aussi facilement que cela. Je terminai de m'exhiber devant ces damoiseaux en jouant faussement avec ma robe et mes cheveux, comme le ferait une jeune fille nerveuse. Je les entendis se murmurer une multitude de chose sans pour autant réussir à comprendre quoi que ce fut. Quelle déception ! Je voulais connaître ce qu'ils purent dire sur ma personne. Je désirais prendre connaissance de leurs interminables compliments. Malheureusement je dus remonter dans mes appartements, je devais tout préparer pour le bal. Je remontai les escaliers lentement, regrettant amèrement ce moment qui fut déjà fini. Je dus résister à l'envie de redescendre et de repasser devant eux, devant lui, une dernière fois, une ultime fois. Ah ! Si j'en avais eu l'opportunité je me serais giflée une bonne dizaine de fois pour tant de sottise. Que m'arrivait-il pour être aussi idiote et soumise ? Je ne devais dépendre d'aucune personne et surtout pas d'un garçon. Alors pourquoi pensai-je autant à lui alors que je ne lui eusse même pas adressé la parole ? C'était un moment de faiblesse, tout simplement, mon cœur jouait avec mon esprit. Cela finirait par passer, cela devait passer d'une manière ou d'une autre. Je rejoignis mon étage avec moins de difficulté, je croyais que je commençais à m'habituer à toutes ces marches ; de toute façon je n'avais malheureusement pas vraiment le choix. Je pénétrai dans mes appartements et fus surprise d'entendre une femme me saluer :

CourtisaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant