Chapitre XV

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Le signal ne vint que bien trop tard à mon goût ; j'étais tellement impatiente de souper avec le duc que mon attente me parut être une éternité. Lorsque quelqu'un frappa enfin à ma porte, j'attendis quelques minutes supplémentaires pour m'assurer de la disparition de la personne. Je descendis d'un étage, les couloirs se ressemblaient tous. J'arrivai face à une grande porte blanche en bois sculpté. Il devait m'avoir entendue car le duc m'ouvrit peu de temps après mon arrivée. Il me fit entrer dans la première partie de ses gigantesques appartements. Ce salon était vraiment différent du mien. La tapisserie était d'une qualité fascinante, dépeignant les multiples déités de notre panthéon au nombre de six. Chacune représentée et magnifiée : Azlu et Nyadis, respectivement la vie et la mort, Latos et Elliara, la masculinité et la féminité et finalement Devni et Lures, les arcanes et la nature. Bien que les six divinités principales semblassent ne se cantonner qu'à une affiliation ils étaient, par extension, les patrons d'autres choses multiples. Je m'arrêtai quelques secondes devant ma préférée, Elliara, qui, en plus d'être la déesse de la féminité, symbolisait la passion et le désir d'autrui comme elle pouvait incarner l'amour chaste. Tant de facettes pour une simple déesse.

« Ah, une fervente adoratrice d'Elliara. Cela ne m'étonne pas vraiment de votre part », commenta le duc avec séduction.

Il me prit la main et y déposa un doux baiser qui me fit frémir. Je devais garder mon calme, il n'était que le duc. Pourtant il dégageait une telle aura de pouvoir et puissance, j'étais on ne peut plus admirative. Non. Eléonore de Chavigny ne devait admirer rien ni personne. Je chassai ces pensées de mon esprit et me concentrai sur ce qu'il me dit. Il m'invita tout de suite à prendre le souper, le repas étant prêt, tout en promettant que nous reviendrions nous détendre dans le salon plus tard. Parfait, je le suivis dans une pièce adjacente où une énorme table nous attendait. Nous prîmes place chacun d'un côté, en tête à tête mais de très loin.

La table était garnie de succulents mets à l'odeur alléchante. Je ne mangeai pas beaucoup mais le peu que j'eusse ingurgité eut pour conséquence de ravir mes papilles gustatives. Son altesse me fit longuement la conversation, m'expliquant à quel point il fut heureux de me recevoir à sa table pour cette soirée. Je lui répondis humblement que tout l'honneur était pour moi et que je le remerciais sincèrement de m'avoir invitée. Notre discussion prit un tournant différent lorsque mon souverain aborda un sujet épineux : mon futur mariage. Il me posa une multitude de questions, demandant si j'avais déjà une inclination envers quelqu'un. Je lui répondis de manière évasive que pas vraiment, personne n'avait vraiment réussi à toucher mon « cœur » jusque lors, et dans son extrême bonté, son excellence, me fit une liste des meilleurs partis d'Aulan : le comte Filibert de Faref, veuf depuis très récemment et n'ayant eu que des filles. J'eus un frisson d'effroi lorsque j'appris qu'il était déjà âgé de plus d'une soixantaine d'étés. Mon hôte le remarqua puis s'excusa, me rassurant qu'une beauté intacte telle que moi ne pouvait se résoudre à épouser un homme qui pourrait avoir l'âge de son grand-paternel. Je fus rassurée lorsqu'il me parla ensuite d'Ethan Méter, le comte-en-devenir de Virrhe, dans la fleur de l'âge. Il était au courant de l'existence de mon commerce avec le charmant noble, m'ayant aperçue à sa table lors du bal.

« Vous savez, me dit le duc, c'est peu commun – voire extrêmement rare – qu'une châtelaine ait une quelconque chance avec quelqu'un d'un niveau aussi élevé. »

Il continua en évoquant, certes quelqu'un n'appartenant pas à la noblesse mais étant tout de même un bon parti, un certain Philipe Raisse. Le frère d'Holie ? Il voulait me faire épouser un vulgaire bourgeois ? Certes ils étaient immensément riches, probablement les plus riches de la cour après le duc ; quand bien même je refusais totalement cette idée, je ne m'abaisserais pas à cela ! Ces mots furent comme un coup de massue, me détruisant le moral presque instantanément, j'étais on ne peut plus déçue. Remarquant ma mine défaite il ajouta que le richissime marchand allait bientôt accéder à la noblesse. Je n'en avais cure, je n'épouserais pas un bourgeois anobli, il en était hors de question. Voyant que je ne parlais plus énormément, le duc nous fit retourner dans le salon, annonçant ainsi la fin du repas. Nous nous retrouvâmes sur le divan, possédant chacun une coupe remplie d'un vin onéreux. J'en bus plusieurs gorgées et commençai à ressentir la chaleur de l'alcool se répandre dans mon organisme.

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