L'intendant m'abandonna lâchement devant mes appartements. Tant mieux, bon débarras je n'avais pas besoin d'un malotru comme lui. Comment avait-il osé me rabaisser de la sorte ? Moi Eléonore de Chavigny, la belle, la ravissante, la parfaite Eléonore de Chavigny. Je me promis de faire réparer le tort qu'il avait commis à mon égard. Je pénétrai ainsi dans mes appartements. Les miens, ils m'appartenaient. Le petit salon où je fus accueillie était baigné d'une douce et chaude lumière en cet fin après-midi d'été. Sur ma gauche je remarquai une cheminée de taille relativement normale et face à moi se trouvait une porte fenêtre qui menait à ma terrasse personnelle. Dans un coin de la pièce j'aperçus un petit secrétaire avec un fauteuil. J'étais on ne peut plus déçu par ce salon que je jugeais beaucoup trop exigu. Les tentures murales étaient bien trop vétustes et démodées à mon goût. Et je ne parlerais même pas du sol qui était dans un état lamentable. La main sur la poignée de la porte menant à ma chambre, je priais en mon for intérieur qu'elle fût moins décevante que la première pièce. Ce ne fut malheureusement pas le cas. Là où mon salon conservait un tant soit peu de chaleur, ma chambre paraissait glaciale. Il y avait une odeur de renfermé insupportable à l'intérieur, cela provenait sûrement de l'absence totale de fenêtre – si l'on omettait une minuscule meurtrière. La chambre était plongée dans une obscurité presque complète et j'eus grand peine à voir que mes bagages avaient été posés à côté d'un lit et qu'une énorme armoire trônait fièrement devant ce dernier. Je réfléchissais sincèrement à la manière dont avait-on pu placer un lit à baldaquin face à cette si imposante armoire. Je me contentai de quitter rapidement ce lieu de malheur en frissonnant de nerf, après avoir récupéré la cassette d'argent – bien évidemment. J'avais un sentiment d'oppression comme si j'avais du mal à respirer.
Lorsque je revins dans le salonnet, une jeune femme était en train de m'attendre, immobile et muette au milieu de la pièce. Petite, grasse, un visage peu attirant avec des yeux marron banals et des taches de rousseur recouvrant ses joues, voilà les mots qui définirent le physique imparfait de cette inconnue. Vu son manque de réaction je lui demandai sèchement qui était-elle et ce qu'elle faisait dans mes appartements. Elle me répondit en bégayant qu'elle s'appelait Yrille et que l'intendant du duc, Etard Massel, lui avait confiée la tâche d'être ma domestique personnelle. Ah, enfin une bonne action de la part de ce mécréant.
« Je vois. Eh bien puisque vous êtes là, je vous prie de ranger mes robes qui se trouvent... A côté », ordonnai-je avec autorité.
Ma domestique acquiesça vivement et partit dans ma chambre. C'était bien, je devais lui montrer qui commandait. J'étais persuadée qu'elle fut sotte avec sa silhouette si peu fine et son incapacité à bien se présenter. C'était affligeant, il se pourrait même que je regrettasse Constance, et pour que je regrettasse Constance il fallut véritablement que je fusse désespérée. J'attendrais quelques temps pour voir comment elle se débrouillait, si elle ne me convenait toujours pas je n'hésiterais pas à la renvoyer dans sa maison miteuse avec sa famille – sûrement – très nombreuse. J'avais toujours cette sensation d'étouffer, cela ne pouvait être mon corset, j'étais habituée à le porter ainsi depuis plusieurs années. Je devais sûrement être fatiguée après cet effroyable voyage, j'avais probablement besoin d'air. Ainsi, je décidai de me rendre sur mon balcon et je fus époustouflée : la vue y était magnifique depuis ce dernier, il surplombait les jardins ducaux. Ces derniers possédaient une infinité de fleurs colorées et exotiques, certaines avaient même plusieurs couleurs à la fois ! Les arbres formaient des images ombragées sur le sol vert et sur le petit lac situé au centre. J'admirais ce magnifique paysage en rêvassant puis en observant le comportement des courtisans en contre-bas. Je les entendais rire, faire des messes basses, vivre. Les filles, accompagnées de leurs chaperons, se cachaient derrière leurs éventails en rougissant à la vue des garçons et jouaient avec les plis de leur robe ou les mèches de leurs cheveux. Les damoiseaux, eux, arboraient de grands sourires séducteurs, se chamaillaient entre eux et couraient après les belles – enfin – les laides comparées à moi. Voilà donc ce qu'était la routine d'un habitant de la cour. Une vie d'intrigue et de machination. Un jeu de brigue et de séduction. Pourtant, ce que les courtisans ne savaient pas encore, ce fut qu'Eléonore de Chavigny venait à peine d'arriver. Ma beauté les mettrait à mes pieds, ils seraient tous complètement subjugués. Je les épiais pendant un long moment encore, songeant à ma future vie ici. J'allais devenir la femme la plus admirée de toute la cour, les courtisans seraient prêts à tout pour me ressembler, morts de jalousie. Je ris intérieurement, j'allais tellement m'amuser ici.

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Courtisane
FantasyEléonore de Chavigny est la fille unique d'un noble désargenté. Désormais en âge de se marier, son père l'envoie chez le Duc d'Aulan avec tout l'argent qu'il leur reste dans l'espoir de trouver un bon parti. Plaçant toute sa confiance en sa fille, l...