Chapitre XVIII

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Les temps qui suivirent furent plutôt doucereux, la température descendait graduellement, pas comme dans mon ancienne demeure où le froid mordant me tombait dessus sans scrupules. L'enterrement de Nalla n'avait pas été aussi divertissant que je l'eusse espéré. Mon père m'avait forcée à y aller par respect pour ma chaperonne. Du respect ? Je lui en portai autant qu'elle m'en eût portée. Je dus supporter les éternelles prières du prêtre qui autorisait cette vipère à trouver le repos éternel. En plus, il pleuvait ce jour-là et Athus n'avait pas cessé de geindre et pleurnicher. Cela était d'un comique et je ne fus absolument pas accablée lorsque j'appris son départ dans un lointain et perdu village avec son fils âgé d'un peu plus d'un mois. Bon débarras, en fin de compte j'étais convaincue qu'elle n'avait pas été assassinée, quelqu'un avait vraisemblablement eu pour désir de m'effrayer, ni plus ni moins. L'été nous avait désormais quittés et l'automne commençait à marquer sa domination sur la ville toute entière. D'ailleurs, l'arrivée de cette saison pluvieuse allait permettre l'organisation d'un autre bal, le dernier en date ayant eu lieu il y avait plusieurs semaines de cela. Mais cette année le bal automnal, qui d'habitude durait le temps d'une soirée serait accompagné d'un grand tournoi et le tout serait réparti sur trois jours. La raison d'un tel changement dans les habitudes dans les habitudes ducales était on ne peut plus simple : la duchesse consort Matildha du Thocen revenait à la capitale après une longue absence et l'on se devait de doubler cette célébration pour fêter son retour à Aulance. Cette dernière avait passé plusieurs mois à la cour de son père, le roi Dorion de Talvel. Le mariage de sa fille avec le duc d'Aulan était purement et simplement arrangé. En effet, le vieux souverain avait l'espoir de rattacher le duché à son royaume comme cela était le cas des siècles auparavant. Malheureusement pour lui en quinze ans de mariage la princesse Talvélienne n'était pas tombée une seule fois enceinte du duc. J'avais ouï dire énormément de choses sur cette femme. Elle était vraisemblablement en possession d'une grande beauté – bien moindre à la mienne – cela était un fait connu et partagé de tous. Mais comme pour tout le monde, cette noble possédait une part d'ombre, quelque chose qui amoindrissait sa valeur. Le peuple la pensait tout simplement stérile, incapable de produire un quelconque héritier. Les rumeurs disaient que Matildha consultait très – trop – souvent les guérisseurs à la recherche d'un « remède », d'une méthode pour enfanter. Malheureusement rien ne marchait pour elle et c'est ainsi que certains la soupçonnaient de ne point être partie pour le plaisir mais pour une autre raison. Tout le monde savait que les mages pullulaient dans le royaume de Talvel, bien plus nombreux que dans le duché d'Aulan. Le roi avait auprès de lui l'élite de ces mages, capables, ensembles, de produire de véritables miracles – mais à un certain prix. Elle était donc suspectée de leur avoir rendus visite, aucune solution médicale n'étant envisageable, la magie serait peut-être leur porte de sortie. Je reçus ces explications avec un grand intérêt, en effet, je me devais de savoir à quoi m'attendre.

Dans tous les cas, au vu du comportement du duc à mon égard, je conclus qu'il n'était pas vraiment transi d'amour pour sa chère et tendre. Depuis notre rendez-vous nocturne il n'avait eu de cesse de m'envoyer des billets doux, contant à quel point je pouvais hanter ses nuits et ses rêves les plus fous. D'ailleurs, cette semaine, j'avais eu l'honneur et le privilège de l'accompagner à la chasse, en compagnie de sa suite. Grosse erreur de ma part d'accepter cette offre puisque cela avait été d'un ennui mortel, rester assise sur un cheval, toute une après-midi, à attendre les bêtes sauvages était absolument sans intérêt. Le duc s'était attelé à me décrire chaque plante devant lesquelles nous pûmes passer et j'étais dans l'obligation de l'écouter, de sourire, de répondre et même de lui poser des questions. Cet homme était passionné par moi mais pas autant qu'Adam. Adam... Il m'avait rendue visite, tard dans la nuit, plusieurs fois. Je ne lui avais pas demandé d'explication sur son départ, nous nous étions juste contentés de nous aimer. Mon amant me promit de toujours veiller sur mon épaule, pour qu'il ne m'arrivât rien. J'en fus touchée. Il était si beau, si attirant, si excitant. Je tâchai avec les plus grands soins de garder notre relation secrète et cachée aux yeux de tous. Il n'appartenait qu'à moi et à personne d'autre. Pour le duc cela était compliqué, je ne pouvais pas encore me permettre d'ébruiter une relation car celle-ci finirait tôt ou tard par se savoir. Je devais d'abord m'assurer une place stable, me marier. Durant ces trois dernières semaines mon père et moi avions eu l'opportunité de voir maintes fois Ethan et son oncle pour discuter d'hypothétiques fiançailles. Le comte de Virrhe avait reçu cette proposition avec un grand enthousiasme, à la stupéfaction de mon père. Il y avait un seul problème dans cette histoire. Bien qu'Ethan fût l'héritier direct du comté – puisque l'état trop fragile de sa cousine ne lui permettait pas de régner – Igor de Virrhe avait besoin de l'approbation – purement symbolique – de son ex-beau-frère, le père d'Ethan, qui était chef de la garde personnelle de la duchesse. Tout le monde reviendrait donc en même temps, et ainsi, une fois l'accord de mon futur beau-père donné je pourrais organiser mon mariage et mon plan se mettrait en marche par la suite. Je deviendrais la maîtresse – favorite était un terme que je préférasse pourtant – du duc et il me couvrirait de cadeaux plus onéreux les uns que les autres. Même sa femme en viendrait à être jalouse. D'ailleurs, la jalousie, Holie en était folle. Depuis que le comte avait envisagé mon mariage avec Ethan, la pauvre petite roturière s'était retrouvée évincée de l'échiquier sans aucun état d'âme. Elle me vouait désormais une rancœur et un mépris tellement explicits, pourtant, cette idiote, pour de sombres et obscures raisons, continuait de m'inviter à ses salons de thé. Elle savait pertinemment que mon absence engendrerait des questions de la part de ses compagnes, après tout, qu'avait-il donc pu bien se passer entre les deux « meilleures amies » de la cour.

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