Chapitre XXIII

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Le tournoi allait se dérouler pendant tout l'après-midi. Yrille m'avait rapportée que les participants s'étaient levés avant même que l'aube ne fût sortie de sa profonde léthargie pour s'entraîner et ainsi espérer gagner ce jeu, avec tout le succès et tous les présents qui l'accompagnaient. Le grand prix était connu de tout le monde : une requête directement exprimée au duc qui, avec une raison des plus impartiales, accepterait ou non de la garantir à son demandeur ; et avec cela s'ajoutait une coquette somme équivalant à une centaine de milliers d'écus. Ce tournoi réalisé en l'honneur du retour de la duchesse était si sélectif, uniquement réservé à la plus haute élite de la société, à la plus haute aristocratie – ou bourgeoisie pour les vermines qui pouvaient soudoyer le duc – si bien que seulement huit participants furent retenus. Parmi ces derniers je pus en reconnaître deux, Ethan Méter le comte-en-devenir et Philippe Raisse le frère de cette pathétique bourgeoise Holie. J'espérais simplement que ce dernier n'accédât pas à la victoire. Je savais d'ores et déjà ce qu'il allait demander – que disais-je, quémander – au duc d'Aulan en cas de victoire : un titre de noblesse. En effet, ce tournoi était la parfaite occasion pour la famille Raisse d'accéder à l'aristocratie tant désirée, à ce monde, mon monde si élitiste. Je ne voulais pas d'eux dans cet univers, ils n'étaient pas assez bien pour lui, bien trop bas ils n'apporteraient qu'opprobre à ma race supérieure. De plus j'avais décidé de faire de cette famille et plus particulièrement de Holie mon ennemie jurée, après mon mariage – cela allait de soi. L'idéal aurait été que mon prétendant gagnât le jeu, ainsi il pourrait demander publiquement de m'épouser et, par la même occasion, je n'épouserais pas un perdant. Je ne pouvais tout de même pas me permettre de m'unir à un homme faible. Cela entacherait grandement ma réputation et je pourrais difficilement me contempler dans un miroir avec un tel homme à mes côtés. De toute manière que pouvait-donc bien demander Ethan hormis ma main ? Rien ne devait compter plus que cela pour lui.

J'avais fait quérir par Yrille ma plus belle ombrelle, cousu avec du fil d'or, pour me protéger du soleil tout en éblouissant les autres invités par mon auguste présence. Ma domestique, comme à son habitude, me prépara fort bien et arriva à faire ressortir ma beauté déjà flagrante en un temps record. M'admirant devant mon miroir j'appréciais tout particulièrement cette robe de couleur pourpre sur ma personne qui me seyait à la perfection. Cela était le plus important car tout n'était que question d'apparence en ce monde et j'étais parvenue à maîtriser cette loi implacable sans problème. Fin prête je me décidai à rejoindre la duchesse puisque ma très récente intégration à son cercle privé me permit d'avoir une place privilégiée sur l'estrade réservée à la suite du duc et à la duchesse. Cela me mettait en joie, je n'aurais ainsi nul besoin de siéger parmi les gens plus bas que ma personne, parmi ces moins que rien. Cependant, alors que je m'apprêtai à rencontrer Matildha du Thocen, au détour d'un couloir, je tombai nez-à-nez avec ma meilleure ennemie, Holie Raisse. Vêtue grossièrement comme à son habitude, elle me regardait avec un air suffisant et un sourire mesquin plaqué sur son visage gras et bouffi.

« Mademoiselle de Chavigny.

— Mademoiselle Raisse, répondis-je sèchement.

— J'ai une excellente nouvelle à vous annoncer, commença-t-elle, vous avez sûrement ouïe dire que mon frère participait à ce tournoi ? Eh bien voyez-vous il va le gagner haut-la-main. Oui, il gagnera ce tournoi parce que mon sérénissime frère a été aguerri par ses longues traversées en mer, elle s'arrêta, fière. Et savez-vous ce qu'il demandera lorsque la victoire sera sienne ? »

Je n'en avais cure à vrai dire, pourquoi venait-elle donc me parler et m'exposer ses viles chimères ? Mon interlocutrice était fort bien gentille mais de toute façon jamais au grand jamais son frère ne gagnerait le tournoi, je ne l'autoriserais pas. Et, de ce fait, elle ne gagnerait jamais un titre de noblesse. Une servante passa sournoisement derrière Holie qui resta muette jusqu'à son départ.

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