Chapitre 2 : Tristan

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Ce soir, Isa étant absente pour cause de soirée entre trentenaires célibataires, je prends mon courage à deux mains et je compose le numéro sur mon téléphone portable. Au bout de deux sonneries, un "allô" grave et profond retentit. Mon cœur bat bruyamment, et je suis tellement nerveuse que j'ai presque espéré que personne ne répondrait. La voix s'impatiente :

                — Oui ? Il y a quelqu'un ? Allô !

                — Oui, bonsoir ! Excusez-moi de vous déranger, je... Enfin, on m'a donné votre numéro en me demandant de vous joindre.

                — Ah ? Je suis toujours content d'entendre une voix féminine, mais pourriez-vous être plus précise, quand vous dites "on" ?

                — Eh bien, ma grand-mère. C'est elle qui m'a donné votre numéro et votre prénom, Tristan, c'est bien ça ? Elle m'a dit que je devais absolument vous appeler, mais je n'en sais pas davantage. Excusez-moi, cet appel est stupide, je n'aurais pas dû. Je suis vraiment désolée. C'est ma curiosité qui m'a poussé à... Enfin... Euh... Mais dites quelque chose !

                — Oui. Tristan, c'est bien moi. Ok, on peut se voir demain ?

                — Eh bien euh... Oui je suppose, mais bon, j'aimerais en savoir un peu plus avant de me déplacer et de...

                — De vous retrouver seule face à un parfait inconnu ? Mais c'est pourtant ça qui est excitant ! C'est bon, vous ne risquez pas grand-chose dans un lieu public. De toute façon j'ai pas beaucoup de temps là. On parlera demain. Jardins du Luxembourg, à 16h, c'est bon ? Aller, à demain.

Il raccroche avant même que je ne puisse répondre quoi que ce soit. Je souris bêtement. Je crois que je suis contente d'avoir un rendez-vous. Ça fait un bout de temps que je n'ai pas eu de rendez-vous avec un ami potentiel. Cette conversation bouleverse un peu ma routine, et j'en suis toute émoustillée. Et en même temps, un peu effrayée. Je ne sais pas du tout à quoi il ressemble, je ne sais rien de lui. Mais ma vieille-maman ne m'aurait pas envoyée vers un mec louche. Peut-être lui a-t-elle confié des secrets que lui seul connait et peut me révéler ?

Sa voix m'a beaucoup plu. Elle est très masculine, très posée. Le genre de voix qui donne les ordres et sait s'affirmer. Et en même temps, très douce à l'oreille, très... sensuelle. Bon, je suppose que je commence à me faire un mauvais film à l'eau de rose. L'imagination des filles, c'est quelque chose ! Mais l'attrait de l'inconnu et du mystère... on ne peut pas lutter contre ! J'ai envie de savoir, plus que jamais. Je passe la nuit à l'imaginer, son prénom devient le support de tous mes fantasmes. Puis je me mets à m'inquiéter : si j'étais déçue ? S'il était laid ? Complètement chauve et vieux ? Si, à force de l'imaginer parfait, je le trouvais juste quelconque ? Inintéressant ? Grossier ? J'arrive enfin à m'endormir, oscillant dans mes songes entre prince charmant et crapaud baveux. A mon réveil, je ris de mes inventions de la nuit, toutes plus farfelues les unes que les autres. Décidément, cet inconnu me plonge dans un état d'excitation rare. Je n'ai plus qu'une idée en tête : aller le rejoindre aux jardins du Luxembourg. Il fait plutôt doux, j'enfile donc une petite robe en voile, féminine mais sage. Je passe plus de temps que d'habitude dans la salle de bain, et Isa le remarque.

                — Tu sors ?

                — Oui, j'ai rendez-vous avec des copines de la fac.

                — Ah ? Je croyais que tu n'avais sympathisé avec personne !?

                — Si... Enfin, juste assez pour une après-midi shopping ! Et puis j'ai appelé le fameux Tristan, tu sais, celui que vieille-maman m'avait conseillé... Il se joint à nous.

                — Tu ne me l'avais même pas dit ! J'y crois pas ! Comment tu as pu me cacher ça ! Alors, dis-moi tout !

                — Bah, le truc c'est que j'en sais rien moi ! On a à peine parlé, je n'ai aucune réponse. Je te raconterai ce soir ! Faut que j'y aille là ! Bisous !

Sur ces paroles, j'enfile une petite veste beige et je disparais dans le couloir avant qu'elle ne pose d'autres questions. Le mensonge à propos des copines de fac, c'est juste pour qu'elle ne s'inquiète pas pour moi. Elle aurait été capable de m'accompagner si elle avait su que je partais seule à ce rendez-vous.

                Il n'est que treize heure quand j'arrive du côté de Port-Royal. Je suis clairement en avance mais je ne tenais pas en place dans l'appartement. Ce sera l'occasion de découvrir un peu le quartier. Je me cherche un truc à manger, et j'opte pour un énorme sandwich dégoulinant de mayonnaise. Pas très glamour, c'est vrai. Mais je n'ai pas pris de petit déjeuner, et je meurs de faim. J'essaie ensuite de tuer le temps, j'entre dans quelques boutiques, j'en ressors cinq minutes après et consulte ma montre en espérant qu'une demi-heure se soit écoulée. Le temps passe trop lentement. Je n'aurais jamais dû partir si tôt. Je me sens ridicule, toute seule sur ce grand boulevard, à regarder à droite et à gauche sans savoir où aller. Je finis par m'installer sur un banc et sors un livre pour m'occuper l'esprit.

                Le ciel se couvre, le vent se lève. Je frissonne. Il est l'heure. Je ne sais pas exactement où je dois le retrouver, je commence à me promener au hasard à travers les jardins. J'interpelle tout d'abord un jeune homme blond, il ne s'arrête même pas de marcher pour me répondre. J'aperçois une silhouette de dos devant le bassin principal : un homme habillé en jean, avec une veste de costume noire. Alors que je me dirige vers lui pour lui demander s'il est la personne que je cherche, deux jeunes femmes le rejoignent. Elles doivent avoir dans les vingt-sept ou vingt-huit ans. Elles ont de beaux cheveux blonds parfaitement lissés, des robes noires moulantes et très sexy, et portent des escarpins aux talons très hauts. Elles sont surement l'idéal féminin de tout homme normalement constitué. Je m'arrête brusquement, comprenant qu'il ne s'agit surement pas de l'individu en question. Pourtant, à ce moment précis, le jeune homme se retourne vers moi.

Il parait un peu plus jeune que les deux femmes. Ses cheveux très sombres tombent sur ses yeux par mèches. Je n'ai jamais vu de pareils cheveux : ils sont d'un noir profond, irisé de reflets rougeoyants. Il me regarde, et hausse imperceptiblement l'un de ses épais sourcils. Au même moment, je trébuche sur je ne sais quel obstacle invisible et je m'étale lamentablement devant ce petit comité. Les deux vipères qui l'entourent pouffent de rire en se serrant contre lui, appuyant chacune leur tête sur ses épaules. Visiblement, le jeune homme est également amusé de la situation, loin de se précipiter pour m'aider. Pourtant je me remets debout, et je relève la tête vers eux, malgré mon embarras. Je frotte la poussière sur mes jambes nues, et constate avec agacement que j'ai déchiré le bas de ma robe en voile. Lorsque je me redresse, il est à deux pas de moi, les deux femmes un peu en retrait. Il tend le bras et ôte un peu de poussière sur mon épaule. A ce contact, je frémis ostensiblement et sens ma peau me picoter sous le tissu.

                « Je suis Tristan », souffle t-il.

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