Chapitre 5 : Cinéma

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Dans l'ascenseur, je regarde le miroir et je me sens sure de moi. J'ai mis le paquet, je suis à mon avantage. Pourtant, une fois la porte ouverte, je traverse le hall d'entrée plus hésitante et nerveuse à chaque nouveau pas. J'arrive sur le trottoir, je le cherche des yeux. Il n'est pas là. Je regarde à droite, puis à gauche. Il arrive, de son pas rapide, j'avance dans sa direction pour le rejoindre. C'est raté, je ne l'aurai pas fait attendre : il est autant en retard que moi. Et je constate que lui aussi s'est mis sur son trente-et-un. Pantalon et chaussures habillés, veste noire sur chemise blanche dont les deux premiers boutons sont défaits. Il est radieux. Il donne un rapide coup de tête pour chasser une mèche qui se balance devant son regard. Ses cheveux sont rejetés en arrière, et ce soir plus que jamais, ils sont d'un noir brûlant. Il se plante devant moi, et comme dans un film romantique, il me prend la main et y pose ses lèvres en faisant la révérence. J'esquisse un petit rire discret.

— Superbe demoiselle, merci d'avoir accepté mon invitation ! Vous me faites un honneur, ma chère !

Il me décoche un clin d'œil malicieux puis enchaîne, en changeant radicalement de ton :

— Bon, et si non, tu vas bien Émy ? Tu es superbe ! Quelle classe !

— Oui ça va, merci.

Je me sens rougir, mais j'essaie de ne pas y penser pour ne pas accentuer la coloration incommodante. Il me prend par le bras et m'entraîne vers le cinéma d'un pas décidé. La circulation est interrompue sur le boulevard, Tristan m'explique qu'un passant s'est fait renverser deux rues plus loin. Nous entrons dans le hall du cinéma, il paie nos places et nous nous glissons dans la salle. Je cherche des yeux deux places disponibles, et alors que j'ai repéré deux fauteuils bien centrés dans la salle, je me retourne pour lui demander son approbation. Mais il n'est plus derrière moi. Je scrute l'obscurité, à droite et à gauche. Je ne le vois pas. Des gens entrent encore dans la salle, ils me bousculent, je suis en plein milieu du passage, et je commence à paniquer un peu. Je l'appelle, mais je ne hausse pas le ton car j'entends déjà des «chuuut» parcourir la salle. 

Soudain, deux lueurs jaunes attirent mon regard dans le coin le plus reculé de la salle. Immédiatement, je me rappelle la créature étrange que j'avais cru voir dans ma chambre. C'est elle : deux yeux jaunes brillants et un sourire en lune. Je suis hypnotisée par ces lueurs, la vie autour de moi n'est plus qu'un bruit de fond très lointain, je ne vois plus les gens qui me frôlent. La créature vient vers moi. Ces bras touchent presque le sol, ses genoux sont pliés lorsqu'elle avance. Son corps brun et suintant commence à se détacher de l'obscurité. Je le distingue de plus en plus à mesure qu'il s'approche. Mais alors que la silhouette se précise, c'est finalement Tristan que je vois sortir de l'ombre, et il semble s'étonner de mon hébétude. J'ai la bouche ouverte, je crois même que je me bave dessus. Je dois avoir le regard hagard, parce que mes yeux sont grands ouverts et je peine à reprendre le contrôle de mes paupières.

— Émy ? Bah alors ? Ça n'a pas l'air d'aller... houhou ? Tu es là ?

— Je... ne me sens pas très bien. Tu étais... Mais c'est bien toi ? Enfin... J'ai cru voir quelque chose de très...

— De quoi parles-tu ? Je tourne le dos cinq secondes pour nous trouver des places, et je te retrouve complètement sonnée !

— Oui... Tu m'as laissée sans prévenir ! Je te cherchais, et j'ai cru voir un truc... enfin une chose...

Je ne finis pas ma phrase, coupée par un hoquet et un spasme de dégoût.

— Voyons, voyons, calme-toi, tout va bien. Tu t'es fait peur toute seule. J'étais juste là. Regarde, j'ai trouvé deux places dans un coin au calme. On sera plus tranquilles. Viens t'asseoir et reprendre tes esprits. Tu veux que j'aille te chercher une boisson ? Remarque, si tu as des crises d'angoisse comme ça, on ne devrait peut-être pas regarder ce film... Tu trembles de partout ! Viens-là, doucement.

STATERA MUNDIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant