Chapitre 40 : Complices

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—Alors, si tu m'expliquais qui sont ces gens qui nous hébergent ?

— André et Vittoria.

— D'accord. Mais raconte-moi ! Comment les connais-tu ? Vittoria a changé de comportement quand elle a su ton prénom... Elle ne t'avait jamais vu ? Pourquoi nous reçoivent-ils comme ça ? Qui sont-ils pour toi ? Pourquoi tu leur caches mon prénom ?

— Eh ! Doucement ! Calme-toi, tout va bien. Je travaille avec André depuis plusieurs années. Il fait partie de mon réseau.

— Ah. Donc c'est l'un de tes hommes de main. Comme Tristan a les siens.

— Oui, chacun a son réseau. Ce sont mes yeux et mes oreilles, ils me donnent des informations et accomplissent parfois quelques petites tâches pour moi. Je n'avais jamais rencontré sa femme, Vittoria. Mais elle connait mon prénom puisque je suis le patron de son mari. Je le paie généreusement. Mais il ne sait pas grand-chose. Les Arnétikos, les Thétikos... Tout ça lui est étranger. Je lui demande de prendre des photos de tel événement, de se renseigner sur telle personne... Il le fait, et ne doit pas poser de questions.

— Alors il ne sait pas si tu es un gentil ou un méchant ? Tu pourrais être un agent secret ou un tueur en série, peu importe, il bosse pour toi sans savoir ?

— Je ne crois pas qu'il ait envie de savoir... Ce qui compte c'est que je lui donne son fric. Et que lui fasse son boulot sans en parler autour de lui.

— Je commence à comprendre l'hostilité de Vittoria. Elle doit penser que son mari baigne dans des trucs pas nets. Ça doit faire très mafieux pour elle.

— Peu importe. Nous aurions pu dormir dehors, mais je voulais qu'on s'accorde une vraie nuit bien reposante, histoire de retrouver des forces. On partira demain en fin de matinée. Et on improvisera pour la suite. Ok ?

— D'accord. Mais pourquoi taire mon prénom ?

— Parce que... On ne sait jamais. André est dans mon camp parce que je le paie mais il pourrait me trahir, si on lui proposait meilleur salaire. Ce n'est pas un allié infaillible. Je n'ai pas une confiance absolue en lui. Manque de bol, je n'ai pas trouvé plus fiable que lui dans mon carnet d'adresses de la région ! Détends-toi, personne ne sait qu'on est ici. Si on lui demande, il dira qu'une certaine Émilie a dormi chez lui. C'est toujours mieux que de balancer ton vrai prénom, non ? Il y a des chances pour que les Perpetrator se doutent de quelque chose, même si Tristan ne leur a pas dit pour nous deux. Il faut redoubler de prudence.

Depuis le rez-de-chaussée, une voix nous appelle pour le dîner. Nous descendons, main dans la main. Nous mangeons avec un appétit féroce. Vittoria s'excuse mille fois de ne pas nous avoir donné à manger dès notre arrivée, mais nous étions tellement soucieux que nous n'avons même pas pensé à réclamer. Cependant, maintenant que les plats sont étalés sur la table, il nous est presque impossible de nous contrôler. Nous finissons tout avidement. La maîtresse de maison est flattée de nous voir tant apprécier sa cuisine.

Nous ne trouvons pas grand-chose à nous dire, heureusement que la télévision fait un bruit de fond. D'ailleurs, le journal télévisé nous fournit quelques sujets de conversation. Budapest est submergée par les flots : le Danube déborde, et toute une partie de la ville est inondée. Vittoria lève les bras au ciel, comme pour prendre les dieux à témoin, et chante de sa voix forte :

— Ah la la, mais que le monde va mal ! Il y a deux jours, Londres était frappée par des orages meurtriers, du jamais vu ! Et en début de semaine, c'était chez moi, en Italie ! Il y a eu un terrible séisme, ils parlaient de cent cinquante morts ! Le ciel va finir par nous tomber sur la tête ! Qu'avons-nous bien pu faire pour mériter de telles punitions ?

Cyrians dresse un sourcil et termine son assiette sans lui prêter davantage attention. Nous les remercions très chaleureusement et montons nous coucher. Il est à peine vingt et une heures. Nous nous allongeons dans les draps frais, c'est un délice. J'avais oublié à quel point un matelas pouvait être moelleux et confortable. Voilà plusieurs nuits que nous dormons à même le sol, dans un vieux manoir ou dans une forêt humide. En posant ma tête sur l'oreiller, j'ai l'impression de revivre. Pourtant, je ne suis pas sereine, il me manque quelque chose : je me décale vers le centre du lit et pose ma tête le long de l'épaule de Cyrians. Il passe son bras sous ma nuque et je me blottis contre lui. J'en suis certaine, je ne pourrais plus jamais dormir sans le sentir à côté de moi.

L'un contre l'autre, nous discutons à voix basse. L'angoisse est retombée, nous plaisantons et rions en toute insouciance. Puis je lui parle d'Isa, de mon envie de lui téléphoner dès demain. Il me promet de trouver une cabine téléphonique. Ce sujet de conversation plombe un peu l'ambiance alors, pour retrouver le sourire, nous nous remémorons notre rencontre. Au souvenir de ma fracture, Cyrians plonge sous les draps et attrape mon pied, pour remonter tout le long de ma jambe en me chatouillant du bout des doigts. Je me débats en riant, et lui vole un baiser lorsque son visage arrive à ma hauteur. Il enlève ses mains de mon corps, mais je les rattrape pour les glisser sur mes fesses tandis que ma bouche parcourt son torse.

— Émy...

— Chut, ne dis rien... S'il te plait... J'en ai très envie.

— Non... Arrête.

Je ne tiens pas compte de ses soupirs, mais il empoigne fermement mes bras et me repousse brutalement.

— Je t'ai demandé d'arrêter !

Je balbutie quelques syllabes décousues, je suis complètement prise au dépourvu. En quelques secondes, je passe de la colère à la crainte. Que lui arrive-t-il ? Je ne lui plais donc pas ? Mais j'étais persuadée que... Enfin je croyais...

STATERA MUNDIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant