Chapitre 37 : Faux-semblant

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La silhouette s'approche, en observant scrupuleusement la forêt qui l'entoure. Alors que son visage se tourne vers moi, je reconnais la perfection des traits de Cyrians. Cette fois, mon cœur bondit de joie dans ma poitrine, mais mon élan s'arrête net, anéanti par un mauvais pressentiment : Cyrians sait très bien où il m'a laissée, pourquoi cherche t-il ainsi ?

Par ailleurs, je ne ressens pas les émotions positives qui l'entourent habituellement et que je sais désormais percevoir et identifier de loin. Et si ce n'était pas lui ? De fait, l'individu poursuit son chemin, en scrutant toujours attentivement les bois. Le vrai Cyrians ne serait pas passé devant ma cachette sans me trouver. L'angoisse et la sensation de malaise qui m'assaillent ne pourraient pas s'exprimer en présence de Cyrians. Je décide de ne pas me manifester, je vais attendre encore. 

La silhouette m'appelle plusieurs fois, d'un air amical et rassurant, mais sa voix et son intonation confirment mes soupçons : ce n'est pas Cyrians. L'imposteur se retourne, jette un dernier œil derrière lui. Je sens son regard passer sur moi, de gauche à droite, puis de droite à gauche. Je suis morte de trouille, il va forcément me voir... Pourvu que l'obscurité joue en ma faveur et comble les faiblesses de mon camouflage végétal. Enfin, cette pâle copie de Cyrians s'éloigne et finit par disparaître dans la végétation, sans me remarquer. Mais les battements de mon cœur ne ralentissent pas pour autant, je suis plus que jamais sur le qui-vive. Je tente de contrôler mon souffle, mais j'halète malgré moi, étant restée trop longtemps sans oser respirer. 

Au bout de plusieurs minutes, j'ai enfin retrouvé une respiration sereine. Il fait vraiment très sombre maintenant, et je suis inquiète à l'idée de passer la nuit seule au milieu de ces bois. J'ignore quel type d'animaux je suis susceptible de croiser. Je meurs de froid, tous mes membres me font mal dans cette position devenue très inconfortable. L'espace d'un instant, je pense sérieusement à retourner jusqu'à notre petit manoir. Après tout, il n'est pas si loin. Mais je renonce bien vite à cette idée folle. Il me serait impossible d'en retrouver le chemin dans la nuit, je pourrais me perdre. Par ailleurs, Tristan y a peut-être posté des hommes. Et puis Cyrians s'inquiéterait de ne pas me retrouver ici. Cyrians... Quand me rejoindra-t-il ? Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé... Pourra-t-il me retrouver ici, en pleine forêt et en pleine nuit ? J'aimerais tellement qu'il soit là, avec moi...

Soudain, plusieurs lapins et oiseaux décampent en même temps devant moi. Il se passe quelque chose. Il y a un animal plus gros qui les effraie. Quelque chose, ou quelqu'un. Une silhouette se détache enfin de la végétation. Elle vient vers moi, je retiens ma respiration et, alors qu'elle n'est plus qu'à deux ou trois mètres, je distingue ses traits. C'est Cyrians. Il vient droit vers moi, sans l'ombre d'une hésitation. C'est vraiment lui, pas de doute. Un soupir de soulagement m'échappe, suivi d'une série de sanglots sourds et incontrôlables.

— C'est moi, mon Émy, ma chérie, ça va aller... C'est moi. Ne pleure pas.

Il tend les bras et je m'agrippe à lui, toujours muette et bouleversée. Il passe son bras sous mes genoux trempés, j'attrape son cou et il me soulève. L'eau dégouline, la boue tente de me retenir comme une ventouse, mais Cyrians m'extirpe de là d'un mouvement ferme et sec. Il me porte sur quelques mètres, en prononçant des paroles douces et rassurantes. Il fait noir autour de nous, mais je n'ai plus peur, je suis une poupée de chiffons, offerte à ces bras adorés. Il me dépose dans les feuilles, entre les racines d'un arbre et s'allonge le long de mon corps endolori.

— Nous allons dormir ici, tranquillement. Je les ai emmenés loin, nous sommes en sécurité, ils ne reviendront pas par là.

— Il y a environ une demi-heure, c'est toi qui est passé près de ma cachette ? Tu me cherchais ?

— Non, je n'ai pas eu à te chercher, j'avais retenu l'endroit dans ses moindres détails, comme si ma vie en dépendait. D'ailleurs, je crois qu'elle en dépendait vraiment. J'ai eu peur en te laissant, je suis vraiment content de te retrouver.

— Oui, mais écoute-moi. Tout à l'heure, je t'ai vu passer. Je t'assure, c'était ton visage, ton corps. Mais je n'ai pas bougé, parce que j'ai senti que ce n'était pas vraiment toi. Mais c'était quelqu'un qui avait ton apparence, et qui me cherchait.

— Tristan, c'est certain. Il est plus intelligent que je ne le voudrais. Il a pensé que tu étais probablement restée en retrait : il a envoyé ses larbins à ma poursuite et il a fouillé plus en détails la forêt. Il a pris mon apparence pour te tromper, pour que tu te trahisses. Tu as bien fait de te méfier.

— Alors, il est surement encore dans les parages, nous ne sommes pas en sécurité. J'en ai marre, Cyrians, si tu savais... J'aimerais rentrer, je voudrais que tout ça s'arrête.

— Je sais... Tu vas dormir un peu, ça va aller. Ne t'inquiète pas, il doit être loin maintenant. Il est passé sans te voir, il n'a aucune raison de rester ici. Il va rejoindre son équipe. Tout ira bien. Il faut dormir.

Il profère des paroles rassurantes et douces pendant plusieurs minutes encore, mais je commence à m'endormir et n'entends plus que les sons de sa voix chantante sans distinguer les mots.

Éveillée par des chants d'oiseau, j'ouvre les yeux et découvre les premiers rayons du jour. L'air est doux, je me sens bien. À côté de moi, les cheveux éparpillés dans les feuilles rousses, Cyrians dort. Il a dû veiller de longues heures avant de sombrer. Son expression est sereine. On dirait que sa peau est parsemée de paillettes d'or tant son visage, baigné de lumière matinale, resplendit. Il y a pourtant une ombre au tableau : son arcade sourcilière droite est enflée, toute bleue et du sang s'en est échappé pour couler sur sa tempe. Je me mords la lèvre inférieure, culpabilisant en pensant à ce qu'il doit traverser à cause de moi. 

Je me redresse et m'assois, en regardant tout autour de moi. La forêt est magnifique. À peine ai-je bougé que Cyrians s'éveille en sursautant, m'attrape le bras et m'attire vers lui dans un réflexe protecteur incontrôlable. Je lui colle un baiser bruyant sur la joue, et il se détend. Il expire en souriant. Nous esquissons un rire timide en nous dévorant du regard. Il baille et murmure :

— Bien dormi, mon petit monstre ?

— Moi, un monstre ?

— Oui, tu es toute couverte de boue et de trucs dégueu ! On dirait un monstre.

— Et toi, tu es blessé. Ton œil l'a échappé belle. Tu as mal ?

Il lève les yeux au ciel, comme si ma question n'avait pas de sens. Nous nous mettons debout et faisons quelques pas pour retourner au ruisseau dont les berges m'ont servi de refuge la veille. J'aide Cyrians à nettoyer son sourcil. L'entaille est plus profonde que je ne le pensais. La chair est d'un rouge intense, et du sang très sombre s'en échappe à chaque fois que je touche la peau autour pour la nettoyer. Mais il ne dit rien, il sait qu'elle guérira vite. Il a ce don d'arranger les choses, et ça le rend toujours si confiant, si sûr de lui... Il est probablement l'individu le plus optimiste et attachant que j'aie jamais rencontré. 

J'enlève mes vêtements et les frotte vigoureusement dans l'eau, tandis que Cyrians me passe de l'eau sur le corps pour en enlever la boue durcie. L'eau froide sur ma nuque me donne la chair de poule et je frissonne. Nous ne nous attardons pas et entamons la longue marche qui nous permettra de trouver une route. J'ignore la suite du programme, et je la redoute. Je ne pose donc pas de question. Pas tout de suite.

— Émy, si tu me parlais un peu du type qui s'est suicidé, en sautant du toit ?

— Non, je t'en prie, pas maintenant. Parle-moi plutôt de la façon dont tu les as semés, hier soir. Et ton sourcil, comment c'est arrivé ?

STATERA MUNDIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant