Chapitre 22 : Déni

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Isa m'appelle dans la matinée, je tente de ne rien montrer de mes tourments. Alors que je suis sur le point de craquer et retiens mes larmes péniblement, elle m'annonce qu'elle rentre demain. C'est un vrai soulagement, je retrouve le sourire. Mais une autre pensée fait retomber mon enthousiasme : encore une nuit à passer seule. Il faut que je trouve une idée pour occuper ma soirée, et même ma nuit. Je n'ai pas envie de revivre les événements qui ont perturbé mon sommeil la veille. 

Je pourrais aller dormir à l'hôtel, histoire de prendre du recul et de me défaire de Tristan, s'il est responsable de tout ça. Mais en même temps, rien ne l'empêcherait de me suivre à l'hôtel. Et aller dormir seule dans une chambre que je ne connais pas n'est pas franchement un plan très rassurant. 

J'aurais bien invité une ou deux amies pour une nuit blanche entre filles, mais je ne me suis pas suffisamment liée avec les parisiennes pour me lancer dans un truc pareil. Je me vois mal proposer ça aux vagues connaissances que je me suis faite à la fac. 

Je passe ma matinée à réfléchir au problème, et une idée me vient enfin : après tout, puisque je n'ai pas eu l'occasion de me rapprocher suffisamment de quelqu'un pour une soirée à deux ou trois, je n'ai qu'à lancer une invitation collective et ouverte. En passant la soirée au milieu d'un petit comité réuni dans mon appartement, j'ai peu de risque d'être confrontée à de nouvelles manifestations surnaturelles. C'est décidé, je n'attendrai pas le retour d'Isa en tremblant dans le fond de mon lit !

J'allume mon ordinateur, me connecte sur Facebook et j'envoie une invitation à une trentaine de contacts. Je sais très bien que la plupart de ces personnes ne viendront pas : elles habiteront trop loin, auront déjà un autre projet, ou juste pas envie de se pointer chez quelqu'un qu'elles connaissent à peine. Mais peu importe, je propose à chacun de venir avec un ou plusieurs amis, de quoi manger, boire et écouter de la musique.

 Au lieu de rester à fixer mon écran fébrilement, je prends mon gilet, ferme l'appartement à clé derrière moi et appelle l'ascenseur. Je dois faire quelques courses pour ce soir. Je ne suis pas vraiment du genre fêtarde, mais la perspective de cette soirée me réjouit. Je suis étonnée de mon audace. Moi qui joue plutôt les timides quand on m'invite quelque part, voilà que je me retrouve à organiser une soirée à l'improviste ! A croire que la peur peut changer les gens. 

J'achète plusieurs sortes de gâteaux apéritifs et quelques bouteilles, puis je tente de ramener mon butin jusqu'à l'appartement. Mais mes béquilles ne me facilitent pas la tâche. Tandis que je passe devant les vitrines des magasins, mon regard est captivé. Je la veux, il me la faut ! Là, sous mon nez, une superbe robe bordeaux. Les gâteaux apéritifs m'en tombent des bras. Tant pis si je traîne les sacs de courses, il faut que j'entre pour l'essayer. Elle coûte une petite fortune, et le magasin semble plutôt chic. Un peu trop même. Je me retrouve là, dans une boutique de luxe, avec ma résine grossière à la jambe, mon pull informe, mon pantalon délavé et trop grand, et mes courses en équilibre dans les bras. Je me sens ridicule. Mais une vendeuse me sort de l'embarras en me proposant de laisser mes courses derrière la caisse le temps de faire le tour du magasin. Je la remercie en rougissant, et demande à essayer la fameuse robe. 

Je m'engouffre dans une cabine et me débats pour me changer. Elle est vraiment radieuse. Fine, seyante, le satin bordeaux m'enveloppe comme une seconde peau. Légèrement fendue sur ma jambe gauche et profondément décolletée dans le dos, elle dégage quelque chose de très glamour. Je n'hésite pas malgré le prix. Je passe en caisse et récupère mes courses. Cette fois je rentre, j'ai fait assez de folies comme ça. 

J'arrive essoufflée à l'appartement, mais contente de mes achats. Je pousse la table basse contre le mur et déplace le guéridon dans la cuisine pour faire de la place dans le salon. J'installe les amplis pour la musique. Parfait. Puisque j'ai le temps, je vais cuisiner deux ou trois quiches. Mais je ne résiste pas, je jette un œil sur mon ordinateur. Déjà huit réponses. Six déclinent l'invitation, mais deux nanas de ma promotion de fac répondent présentes. Elles se connaissent bien et viendront donc ensemble. Pour ma part, j'ai mangé avec elles plusieurs fois entre deux cours, sans vraiment nous trouver de points communs. Pourvu que d'autres personnes viennent....

Je passe l'après-midi obnubilée par mes préparatifs, mais quand la soirée approche, je commence à m'angoisser. Il est temps de mettre ma robe et de me maquiller. J'ai reçu six réponses favorables en tout. J'ai peur qu'on tourne en rond, sans bien savoir quoi se dire. On sonne à ma porte vers vingt heures. Je jette un rapide coup d'œil à mon reflet dans le miroir, respire à fond, et ouvre. Deux nanas entrent en gloussant, suivie de près par deux mecs qui ont l'air profondément mal à l'aise.

— Si vous voulez, vous pouvez mettre vos vestes sur le lit dans ma chambre, au fond du couloir.

Ils s'exécutent, en s'engouffrant dans le couloir à la file indienne. Puis ils réapparaissent dans le salon, nous sommes tous assez indisposés. Clara, une grande fille aux mèches blondes, tente de briser la glace.

— Alors Émy, comment ça va depuis la fin des cours ? Tu ne m'avais pas dit que tu avais la jambe dans le plâtre !?

— Oh oui, je me suis cassée la jambe : j'ai été plâtrée trois semaines, et là ils m'ont mis une résine. Et toi, ca va ?

— Oui, oui... C'est chez toi ici ? C'est super sympa comme appart.

— Merci. Je le partage avec ma mère. Elle est en vacances.

— Ok... Je suis venue avec Hélène, elle était aussi dans le cours de littérature avec nous. Ça c'est Thomas, et là Benjamin. Des potes à nous, on devait passer la soirée ensemble, et quand j'ai reçu ton invitation, je leur ai proposé.

— Super, tu as bien fait. Les autres ne devraient pas trop tarder je pense. Installez-vous.

Ils se mettent sur le canapé, assis en rang d'oignons. Cette soirée va être une catastrophe... Je ne sais déjà plus où me mettre. Je trouve une excuse pour m'échapper dans la cuisine, prétextant qu'il n'y a pas assez de verres sur la table basse. Quand je reviens dans le salon, ils parlent entre eux, et pas un ne me remarque. Je tortille mes cheveux nerveusement, mais heureusement la sonnette retentit de nouveau.

STATERA MUNDIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant