Chapitre 6 : S'enfuir

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Le film se termine. J'angoisse à l'idée de me retrouver face à lui en pleine lumière. Je préfère m'isoler un peu et reprendre mes esprits avant de lui parler. Alors que nous nous dirigeons vers la sortie de la salle, je lui demande de m'attendre devant les toilettes, et je me faufile très rapidement parmi la foule. 

Je passe enfin la porte des WC pour dames, et je me précipite vers le lavabo le plus proche. Je passe mes mains sous l'eau et me taponne la nuque et les joues avec un mouchoir humide. Puis je m'enferme dans une cabine. J'en ressors quelques minutes plus tard, un peu plus sereine. Deux femmes entrent alors que je me lave de nouveau les mains. Elles ricanent d'une voix grave très désagréable. Je relève la tête et les aperçois dans le miroir qui me fait face. Ce sont les deux blondes qui accompagnaient Tristan lors de notre première rencontre. L'une à ma droite, l'autre à ma gauche, elles s'adressent à mon reflet dans le miroir tout en riant.

— Alors Émy... Comment se passe ta petite soirée ? Tristan ne t'a pas encore montré le chemin ? Pauvre fillette apeurée... Regarde ça Jessica, elle va pleurer...

— Oui, je crois que tu l'effraies, Laetitia. Laisse-la un peu tranquille, je crois qu'elle n'y est pas encore passée... Tristan sait s'y prendre, hein petite Émy ? N'aie pas peur, même si tu es plutôt repoussante, il ne fera qu'une bouchée de toi, toute petite Émy. Regarde-la Laetitia, elle tremble de tous ces membres... Elle fait vraiment pitié... J'espère que Tristan arrivera à la changer vraiment. Il a beaucoup de travail avec ce laideron là... Courage Émy, tu verras, il ne te fera pas trop mal. Enfin, sauf si tu te débats !

Elles partent alors d'un rire exagéré tandis qu'elles approchent leurs visages à quelques centimètres du mien. Complètement tétanisée, je regarde mon reflet dans le miroir sans parvenir à réagir. C'est alors que leurs lèvres s'écartent sensuellement, laissant passer une toute petite langue grise, fine et fourchue, qui me chatouille le visage. Je me laisse tomber au sol dans un état proche de l'évanouissement. Ma vision est brouillée, mais j'entends leurs pas et leurs rires s'éloigner, jusqu'à ce que la porte claque derrière elles.

Comme une évidence, j'accepte désormais l'unique explication qui s'offre à moi : Tristan n'est pas l'homme sans reproche qu'il veut montrer, et les choses étranges qui m'arrivent me dépassent. Je me lève d'un bond avec une seule idée en tête : rentrer au plus vite et retrouver Isa. Mais je n'ai pas le temps d'ouvrir la porte, c'est Tristan qui le fait. Il me bloque le passage, et referme la porte derrière lui sans me quitter des yeux.

— Émy ? Où vas-tu comme ça ? Quelque chose ne va pas, ma belle ?

— Ne t'approche pas davantage.

— Enfin, qu'est-ce qui t'arrive ?

— Je crois que je commence à tout comprendre. Je vois des choses et... la créature que j'ai vu dans ma chambre, c'était bien toi, hein ?

— Mais qu'est-ce que tu...

— Ne m'interromps pas. Il se passe des choses étranges quand je suis avec toi, le monde se détraque, les enfants s'arrachent les genoux, les serveurs des cafés se coupent avec les verres, les femmes enceintes perdent leur bébé au cinéma...

— Tu ne vas pas me rendre responsable des petites misères des...

— Même moi, je me suis cassée la figure en arrivant devant toi pour la première fois ! Soit tu portes la poisse malgré toi, soit tu me veux du mal, Tristan !

— Émy calme-toi ! Je crois que tu as besoin de repos, on dirait que tu as de la fièvre, tu trembles de partout. Tu es peut-être malade. Ça va aller, je vais prendre soin de toi, ne t'inquiète pas.

Je m'effondre d'un coup : je suis prise d'une crise de larmes, j'ai l'impression de perdre la raison, je suis à bout. Il a raison, je suis surement malade. Je pose la main sur mon front, il est brûlant. Je suis victime d'hallucinations, je n'en doute plus. Il me prend dans les bras, et je le remercie de ne pas m'abandonner. Il doit vraiment me prendre pour une folle. À sa place, j'aurais filé depuis longtemps. Il me serre de plus en plus fort, il me contraint à reculer. Mon dos percute le mur. Son souffle est haletant. Ses mains parcourent mon corps avec frénésie, je frémis. Il caresse mes seins et les empoigne avec une telle force que je gémis de douleur. Je voudrais me débattre mais je n'arrive pas, mes muscles ne répondent pas. Il ouvre ma robe et presse son visage entre mes seins, je pleure les yeux fixés sur le plafond et j'implore lamentablement je ne sais quel dieu. Il me mord, et la douleur me fait brutalement sortir de ma léthargie. 

Je me débats, et je repousse la main qu'il a glissée sous ma robe d'un coup de genoux dans le bras. La peur a décuplé ma force, ses os craquent bruyamment et il hurle en se reculant, mais je n'y prête aucune attention, je bondis et cours vers la porte en remettant ma robe. Je traverse le hall du cinéma sous les regards interloqués des gens qui murmurent. La fraîcheur de la nuit me rend tous mes esprits. Paniquée à l'idée qu'il se soit lancé à ma poursuite, je cours sur le trottoir comme une bête traquée. 

Je sens encore ses mains sur moi, son souffle dans mon cou. Je cours à perdre haleine. Ma vision est brouillée par mes larmes. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis sortie du cinéma, mais je ne cesse de courir, bousculant les passants, frôlant les voitures. Je traverse le boulevard, doublant une femme et sa poussette. Mais un chauffard a dû griller le feu rouge, il perd le contrôle de son véhicule. Dans un dernier coup de volant surnaturel, il évite la poussette derrière moi et je ne vois que ses phares qui m'éblouissent pendant une fraction de seconde, avant qu'un bruit sourd ne fasse exploser mon cerveau, me laissant seule et perdue dans le noir le plus complet.

STATERA MUNDIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant