Chapitre 16 : Évacuer

136 18 9
                                    


... Je décide d'aller chercher Tristan.

Je me lève, commence à marcher dans le couloir. Mais je me dégonfle : il fait noir, tout est silencieux, j'angoisse. Et l'idée de me retrouver nez-à-nez avec lui me donne la chair de poule. Imaginons qu'il ait la même idée que moi, et qu'en poussant sa porte je le trouve debout dans le noir ? Mon imagination est en marche et fonctionne à plein régime, je suis en flippe total. Je bifurque donc vers la salle de bain. 

Je me regarde dans le miroir, prête à voir une nouvelle hallucination glauque. Mais rien, ce n'est que moi. Je déforme mon visage, je regarde mes yeux de très près, mais ils ont leur couleur habituelle. Je provoque ainsi mon reflet pendant plusieurs minutes, sans succès. Je me laisse alors tomber au sol, morte de fatigue et les nerfs à vif. Je me mets à rire nerveusement, alors que des larmes de désespoir coulent sur mes joues. Je ne comprends plus rien, je deviens folle. Je me sens vraiment ridicule, là, par terre dans ma salle de bain à trois heures du matin, à faire des grimaces à mon reflet dans l'attente d'une apparition monstrueuse. Je suis à la fois terrorisée, fatiguée, honteuse et accablée.

L'absence et la trahison de Cyrians accaparent mon esprit souffrant, et chaque pensée provoque des torsions dans mon ventre. Le désespoir m'assaille par vague, j'ai envie de hurler, mais je me retiens. Je me retiens tellement que ma gorge est prête à exploser. Mes doigts se tordent, je suis à la limite de convulser. Je perds le contrôle de moi-même, mes muscles se raidissent et se relâchent sans que je ne leur ordonne quoi que ce soit. Quelque chose demande à sortir de mes entrailles. Je ne parviens pas à l'exprimer. Mon corps se tord de douleurs imaginaires, mon estomac se contracte et je tire au cœur, persuadée que je vais vomir d'un instant à l'autre. Mais rien ne parvient à sortir de mon corps à bout. J'ignore comment s'appelle ce genre de crise, et même si quelqu'un a pu mettre un nom là-dessus, car pour ça il faudrait qu'un autre être humain ait ressenti pareille détresse. 

Je saisis le seul objet à ma portée : un rasoir sur le bord de la douche. Je lui arrache ses lames en me coupant les doigts, et je commence à faire de longues entailles dans mes jambes. Superficielles tout d'abord. Puis plus profondes ensuite. Je fais le tour de mon mollet avec la lame. Je suis calme, ça y est. Je suis bien. Les gouttes de sang qui coulent sur le tapis entraînent ma peine dans leur chute. Mes émotions coulent sur moi, ruissellent. Je suis imperméable, elles glissent sur ma peau, elles ne peuvent plus m'atteindre. Elles tombent et j'expulse l'air prisonnier de mes poumons. Je ris doucement, je souffle. J'inspire avec un peu de difficulté, et j'expire avec beaucoup de soulagement. J'entaille ma peau, et le mal sort de mon corps. J'attends de plus en plus longtemps entre chaque plaie, histoire de savourer jusqu'au bout le plaisir qu'elles me procurent. Je deviens molle, mes muscles sont apaisés, je me sens même fatiguée et sur le point de dormir. Je souris.

— Émy ? Qu'est-ce que tu fais ma puce ?

Je sursaute en entendant la voix de Tristan, puis soupire :

— Ça va... Ça va mieux.

Il regarde mes jambes couvertes de griffures rouges, toutes parsemées de saignements fins. Pendant un instant, je me sens honteuse : Que va-t-il penser ? Il va me faire interner ? Il va être furieux que je me sois blessée ? Mais son visage détendu me rassure rapidement. Il avance et s'assoit près de moi sur le sol. Il regarde mes jambes avec insistance, mais il est calme.

— Je suis désolée Tristan. Je ne sais pas ce qui m'a pris. C'est la première fois que j'ai un tel comportement. Je n'avais jamais ressenti un truc si fort et si perturbant. Je ne sais pas ce qui m'arrive... j'ai peur... je ne sais pas ce qui m'arrive...

Ma voix est brisée par les sanglots, ma sérénité me glisse entre les doigts, je sens de nouveau mes muscles se raidir.

— Non, non ! Ne pleure pas ! Ce n'est pas grave. C'est normal que tu aies peur. Tout ira bien, laisse-toi aller, fais-moi confiance. Ce n'est pas grave, ce n'est rien, je t'assure. Si ça te fais du bien de faire ça, tu dois le faire. Tu n'as pas à te sentir honteuse devant moi. Je comprends. Si ça te soulage, fais-le !

STATERA MUNDIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant