Chapitre 21 : Hantée

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Ce soir-là, je peine à trouver le sommeil. L'appartement sombre et silencieux m'effraie. Je repense aux paroles de Cyrians. Et plus j'y pense, plus je regroupe d'éléments qui viennent étayer ses théories. Mes guérisons accélérées, ma sensation de bien être quand il est là, mon accident de voiture où la femme et sa poussette ont miraculeusement été évitées... Cet accident... les toutes premières paroles de Cyrians me reviennent alors. Je les avais oubliées, mais elles me rattrapent subitement dans une absolue clarté.

«Tu as failli tout foutre en l'air.... Par ta faute j'aurais pu provoquer un désastre...

Tout l'inverse de ce que je voulais ! Il s'en est fallu de peu.»

Était-il déjà dans son délire de fou à lier ? Avait-il plutôt commis un lapsus, en révélant des informations dans le feu de l'action ?

Et Tristan... J'avais déjà eu des doutes, au cinéma, en l'accusant naïvement de porter la poisse... Mais peut-être avais-je finalement touché la vérité du doigt ? Sa présence avait déclenché pas mal d'accidents graves ou légers. La fausse couche au cinéma, mon voisin foudroyé... Un autre exemple parlant me revient tout-à-coup en mémoire : l'enfant au parc. Celui qui s'est ouvert le genou... Je revois encore le plaisir pervers et sadique de Tristan lui enfonçant ses doigts dans la plaie.

Prise d'un doute, je bondis hors de mon lit et entre dans la salle de bain. Je regarde mon reflet dans le miroir, scrutant mes cheveux. Ils sont très sombres... peut-être plus sombres que d'habitude. Je les ébouriffe et balance ma tête de droite à gauche. Il avait raison. Cyrians avait raison. «Ils jettent déjà des flammes». Moins ostensiblement que ceux de Tristan, mes cheveux sont tout de même parsemés de reflets rouge chatoyant, certaines mèches présentent des nuances dans les tons bordeaux. Si l'on n'y prête pas attention, on ne remarque rien. C'est loin d'être aussi flagrant que dans la tignasse sombre de Tristan, mais je suis presque sure de percevoir tout de même un changement. 

Est-ce que je deviens parano, ou est-ce que Cyrians m'a aidée à relier tous les morceaux du puzzle ? Depuis que Tristan est parti, mon corps et mon âme ont retrouvé la paix : j'ai plutôt faim ce soir, et aucune envie de me mutiler pour le moment. Mais je ne sais pas combien de temps durera cette accalmie, puisqu'il a juré de revenir me tourmenter.

Dans la nuit, alors que j'avais enfin trouvé le sommeil, je me réveille en sursaut. Je sens un souffle dans mon cou. J'en suis presque sure, j'entends une respiration. Je ne parviens pas à déterminer d'où elle provient, mais je la ressens clairement dans chacun de mes muscles. Ce bruit me glace le sang. Je ne suis pas seule, j'en suis certaine. Prenant mon courage à deux mains, je tends le bras vers la lampe de chevet et la lumière jaillit enfin. Mais pas pour longtemps : l'ampoule grille presque aussitôt. Un cri m'échappe, et je me tétanise. 

C'est trop pour être une coïncidence, il se passe quelque chose d'anormal. Bêtement, la première chose qui me vient à l'esprit et de demander à voix haute et tremblotante s'il y a quelqu'un dans la pièce. Bien sûr, personne ne répond. Bon, je dois me lever et aller appuyer sur l'interrupteur du plafonnier. J'annonce d'une voix ferme mon intention, comme pour me donner du courage. Alors que je me dirige à tâtons dans le noir, ma jambe handicapée est retenue brusquement et je m'étale de tout mon long sur le tapis, hurlant de terreur, des larmes dans la voix, et persuadée d'avoir heurté quelque chose au sol. 

Lorsque je parviens enfin à me calmer, je rampe à travers la pièce et atteins enfin mon but. Une lumière vive emplit ma chambre, m'obligeant à cligner plusieurs fois des yeux. Il n'y a rien, même pas une trace de l'objet qui m'a fait tomber. Je calme ma respiration en me forçant à inspirer et expirer longuement. Mais de nouveau mon souffle est coupé : ma porte est entrouverte. Je suis absolument certaine de l'avoir bien fermée et d'avoir même vérifié plusieurs fois, tant j'étais angoissée par l'idée de dormir seule dans un appartement vide et sombre. Et si la personne que j'entendais respirer était partie se cacher dans une autre pièce ? La salle de bain ? La cuisine ? Comment trouver le courage d'en avoir le cœur net ? Ne vaut-il mieux pas que je m'enferme dans ma chambre pour appeler la police et signaler une effraction ? Mais quelle preuve ai-je à avancer ? La sensation d'une présence, rien de plus... 

Mes hésitations et mes interrogations sont stoppées net : il y a du bruit dans le salon, deux personnes parlent distinctement. Cette fois c'est trop, un fantôme joue avec mes nerfs. Tristan tenterait-il de me pousser à bout ? Espère-t-il me voir changer d'avis et l'appeler à la rescousse ? Je réfléchirai aux différentes hypothèses plus tard, il faut que j'aille dans le salon. 

J'ouvre davantage la porte de ma chambre et allume la lumière du couloir en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Les bruits sont parfaitement clairs maintenant : deux personnes parlent de politique, et des flashs lumineux d'intensité variable éclairent le salon. La télévision s'est allumée, ou plutôt a été allumée par quelqu'un. J'allume toutes les lumières possibles, et explore la chambre d'Isa, la cuisine et la salle de bain. Rien, personne. Je me lance dans une grande et belle tirade vaine, implorant le responsable de mes frayeurs de me laisser tranquille. 

Je sanglote, assise sur le canapé, désespérée. Pourquoi moi ? Pour quelle raison m'en vouloir à ce point ? On veut me rendre folle, me faire croire que je m'invente des histoires. Mais je ne rêve pas, toutes ces choses arrivent vraiment. Je ne peux raconter ça à personne, on ne me croirait pas. Seul Cyrians pourrait me croire, puisqu'il semble encore plus fou que moi.

J'ai trop peur de retourner dans ma chambre, je m'allonge dans le canapé et passe le reste de la nuit à somnoler devant des débats politiques, toutes les lampes de l'appartement allumées.

Vers neuf heures, je me réveille pour de bon. J'ai dû dormir plus profondément sur le matin. J'éteins la télévision, et me dirige vers la cuisine pour prendre un petit déjeuner malgré mon manque d'appétit. Mais je m'arrête dans le couloir : un détail vient d'attirer mon attention. Le jour éclaire l'appartement, mais malgré toutes les lumières que j'ai allumées cette nuit, plus aucune ampoule ne brille.

STATERA MUNDIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant