Chapitre 17 : Dépendance

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  ... Il y a des araignées dans mon lit, ce n'est pas possible autrement. J'allume la lumière. 

Il n'y a rien. Mon matelas est sain, mes draps sont propres hormis quelques petites traces de sang dues aux coupures de ma jambe la nuit dernière. Je passe une bonne demi-heure à tout retourner dans ma chambre, à la recherche de la bestiole qui me démange. Rien. Mes draps et mon matelas sont par terre, mais les lattes sont désespérément saines. Des acariens. Ça doit être des araignées microscopiques, une sorte d'acarien, c'est certain. Je passe la nuit à me gratter. Les bestioles sont peut-être dans mes cheveux. Je devrais aller chez le coiffeur demain pour les raccourcir. Et si ça ne suffit pas, je devrais me raser la tête pour les dénicher. Au petit matin, je finis par m'endormir.

Lorsque je me réveille, il est presque quatorze heures. Je me lève et pousse un petit cri aigu : mes draps sont couverts de traces de saignements provoqués par mes démangeaisons. Tristan entre brusquement dans la pièce, alerté par le bruit. Je tends le doigt vers les draps, et il pose sa main sur mon épaule.

— Je vais changer tes draps, ce n'est pas la fin du monde. Je ferai tourner une machine ce soir. Je m'en occupe, ce n'est rien.

Je le remercie d'une voix faible et cassée.

Quelques jours passent ainsi, je ne fais pas grand-chose de mon temps, Tristan travaille dans le salon. Je végète, je broie du noir. Et je passe mes nuits à errer dans l'appartement, à me gratter et à me couper.

Le mercredi matin suivant, après une nuit aussi éprouvante que les autres, j'entre dans la salle de bain pour me débarbouiller, mais la découverte de mon corps dans le miroir pendant un instant de lucidité me fait un choc. Ma peau est parsemée de griffures profondes, recouvertes de sang séché noir. Mon ventre est en lambeaux, tout comme ma gorge. Mes ongles courts sont noirs de sang coagulé. Mes yeux sont sans lumière, sans vie, entourés d'immenses cernes qui me donnent l'aspect d'un cadavre. J'ai fondu, mes os sont saillants, à fleur de peau. Je me mets à pleurer doucement, nue devant mon miroir. Tristan entre discrètement et m'enlace. Il m'entraîne vers la douche, me fait m'asseoir dans le bac et il passe le jet d'eau sur mon corps meurtris, sans que je ne cesse de pleurer comme une enfant.

— Ça va aller. C'est une mauvaise période, mais tu t'en sortiras, tout s'arrangera. Courage. Je m'occupe de toi, regarde.

Il me sèche et m'enveloppe dans la serviette. Il peigne mes cheveux et m'habille. Mon pantalon ne tient plus à ma taille, mais qu'importe, il trouve une ceinture dans ma chambre et la passe tout autour de ma taille. Il me propose de manger, je refuse mais je m'installe tout de même à table avec lui. L'odeur de la viande rouge qu'il cuit à la poêle me retourne l'estomac, j'ai à peine le temps de soulever le couvercle des toilettes. Je vomis un liquide jaunâtre absolument infâme.

Tristan me sert plusieurs verres d'eau. Je m'oblige à manger un peu de pain beurré. Encore une fois, je passe la journée à ne rien faire, à somnoler sur mon lit ou dans le canapé, entre deux livres et trois chaînes de télévision. Je n'ai pas d'énergie, je ne peux plus sortir et me déplacer dans l'appartement devient pénible. Le moindre mouvement de trop m'essouffle.

Nous regardons un film avant de nous coucher, puis chacun part dans sa chambre. Mais vers deux heures du matin, je fais une crise d'angoisse. Je crois m'étouffer et j'appelle Tristan. Il ne tarde pas à entrer dans ma chambre. Il me console, comme il le ferait avec une fillette.

— Je ne suis pas une enfant. Tu me traites comme une enfant. Je ne suis pas une enfant, tu entends ?

— Je sais, je sais bien Émy. Tu es une très jolie jeune femme. Je le vois très bien, rassure-toi.

Il m'aide à me rallonger et éteint la lumière. Nous restons silencieux dans le noir pendant quelques minutes. Tristan est allongé sur le côté, entre le mur et moi. Je n'ose pas bouger, de peur de voir surgir de l'obscurité une nouvelle créature. Mais il n'y a que le souffle chaud de Tristan, j'écoute sa respiration, je sens son odeur, j'effleure sa peau du bout de mon doigt. Il pose sa main sur mon ventre et commence à dessiner des cercles concentriques de plus en plus larges. Je frémis sous sa caresse et frissonne. Sa main parcourt mon corps, à la fois douce et ferme. 

Il se penche sur mon corps abîmé, l'angoisse monte en moi, ma respiration se bloque. Ses muscles chauds effleurent les miens dans un contact grisant. En proie à des sentiments contraires, je retiens toujours mon souffle, tandis que son visage s'abaisse pour se loger dans mon cou, puis descendre davantage encore. Je sens alors sa langue jouer avec mon mamelon, et l'air sort de lui-même de mes poumons. Ce contact doux et humide m'arrache un éclat de rire nerveux. Il n'arrête pas, au contraire, il accélère ses mouvements et je sens sa main glisser entre mes cuisses. J'essaie de dire non, mais le son reste dans ma gorge et seul un grondement parvient à sortir. Je peine à déglutir. Ses caresses sont agréables, ma respiration s'emballe. Ses doigts se glissent dans mon corps, et l'agréable laisse place à une vive souffrance. Ce sont de longues griffes qui fouillent mon corps en profondeur, je gémis, le plaisir s'est uni à la douleur, je ne sais plus dissocier les deux.

Quelques minutes plus tard, lorsqu'il s'arrête, il ne dit pas un mot et quitte la chambre. Il fait sombre, mais je peux voir son sourire de satisfaction lorsqu'il jette un œil vers moi au moment de franchir la porte de ma chambre. Je m'endors immédiatement, le corps meurtri.

Je me réveille à l'aube. Il fait clair dans la pièce, le jour passe au travers des rideaux. Mes cuisses  sont couvertes de ruisseaux rouges qui ont séchés. Je ressens des brûlures intérieures. Je ne sais pas pourquoi j'ai tant saigné : je n'étais pourtant pas vierge.

Je me déplace péniblement jusqu'à la salle de bain où je me rince dans la douche en tentant d'apaiser le feu qui ronge mon entre-jambe. Je me dirige ensuite vers la cuisine, mais constate en cours de route que les rideaux de la chambre de Tristan sont ouverts et le lit fait. Je m'attends donc à le trouver dans la cuisine, mais il n'y est pas. Il a laissé un mot sur la table.

J'ai une conférence aujourd'hui, je ne rentre que ce soir.

Bonne journée.

J'avais oublié sa conférence. Heureusement qu'il m'a laissé un mot. Je ne prends pas la peine de m'habiller, je m'installe directement sur le canapé, prête à y passer la journée dans un état végétatif, à tenter d'enfouir profondément dans mon esprit les événements de la nuit. Mais rapidement, on sonne à la porte. Je décide de ne pas ouvrir, mais la personne insiste lourdement. Je me lève donc et claudique jusqu'à la porte. Je l'entre-ouvre. Et un petit cri de surprise m'échappe.

STATERA MUNDIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant