Chapitre 43 : Échardes

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— Je t'aime. Mais il faut que tout cela cesse.

J'enfouis mon visage dans son tee-shirt, laissant mes larmes couler. Quelle solution avons-nous ? Comment ne pas s'abandonner au désespoir ? Pour m'accrocher encore davantage à lui, je passe mon bras dans son dos. Il pousse un gémissement sourd, et tout me revient à l'esprit : la table qui a explosé derrière nous chez André et lui a arraché un cri rauque, son tee-shirt imbibé de sang, pendant que nous roulions.

— Cyrians, tu es blessé ? Montre-moi.

Il se met à rire, mais pas comme d'habitude. C'est un rire tonitruant, moqueur et terrifiant. Puis, en me jetant un regard plein de prétention et de dédain, il m'explique :

— Et alors ? Qu'est-ce que tu veux y faire ? Je suis un Thétikos, je m'en sortirai.

— C'est bon, arrête ! Montre-moi.

Je l'oblige à se pencher en avant et je l'aide à ôter son tee-shirt. Beaucoup d'éclats sont venus se nicher sous sa peau. Je compte une quinzaine d'échardes de tailles différentes.

— C'est pas très beau à voir. Il faudrait désinfecter tout ça. On doit trouver une pharmacie. D'ailleurs, on est où là ?

— Dans le bois d'Ahun. Il doit y avoir un lac pas très loin, je crois. On pourrait essayer de le trouver et je me rincerais le dos...

— Non. J'ai dit une pharmacie, pas une étendue d'eau croupie. Te sens-tu capable de conduire encore un peu ?

Il opine de la tête. Cette fois, c'est à moi de prendre les choses en main et de m'affermir. On a vu assez de sang comme ça pour aujourd'hui. Je lui expose mon plan :

— J'ai vu des panneaux qui indiquent Limoges. C'est une grande ville, alors on y trouvera un hôtel et de quoi te soigner. On part maintenant, ou tu as encore besoin de te reposer un peu ?

— C'est bon. Et toi, tu as assez récupéré ?

J'attrape mon casque et lui envoie le sien en lui adressant un grand sourire pour toute réponse. Une fois sortis du bois, nous rejoignons la nationale. Cyrians ne semble pas souffrir. Il y a très peu de circulation, ce qui n'est pas forcément une bonne chose lorsque l'on veut se fondre dans la masse. Nous avons de grandes chances de nous faire repérer : la moto ne passe pas du tout inaperçu. Cyrians craint les témoins qui pourraient informer Tristan de notre arrivée dans la ville. C'est pourquoi nous décidons de nous garer en périphérie, puis d'emprunter les transports en commun. Après pratiquement une heure et demie de moto, je suis bien contente de pouvoir détendre mes muscles en voyageant debout dans le bus. 

Nous descendons en plein cœur de la ville, place Churchill. Nous devons trouver un hôtel moins exposé, dans une plus petite rue. Nous marchons un peu et demandons de l'aide à quelques passants. De fil en aiguille, nous remontons la rue François Chenieux et trouvons enfin notre bonheur rue Armand Barbès. Le coin semble très tranquille. Nous demandons une chambre pour une nuit, Cyrians sort une liasse de billets de sa poche et paie immédiatement. Nous montons et entrons dans la chambre. J'invite Cyrians à s'allonger le temps que j'aille à la pharmacie.

— Non, je viens avec toi. Hors de question que tu y ailles seule. S'il te trouve je...

— Fais-moi un peu confiance... Je n'en ai pas pour longtemps, j'ai repéré une pharmacie tout près. Je fais l'aller-et-retour. Inutile que tu te balades dans les rues avec ton tee-shirt taché. Tu ferais mieux de prendre une douche pour rincer tout ça.

— Tiens, prends de l'espèce. Hors de question d'utiliser une carte bleue.

J'ignore d'où lui viennent tous ces billets. Peut-être les a-t-il récupérés chez André, en même temps que son arme. Il finit par me laisser partir, un peu contrarié. Je dois avouer que je ne suis pas enchantée à l'idée d'être seule dans les rues d'une ville que je ne connais absolument pas tandis que des tarés armés nous recherchent. Je regarde droit devant moi en marchant, évitant de croiser le regard des passants. 

J'entre dans la première pharmacie que je trouve, j'y achète du désinfectant, une pince à épiler et de quoi faire des pansements. Je passe également à la boulangerie et demande deux sandwichs. Aussitôt fait, je me presse de rentrer, soudain inquiète de l'avoir laissé seul. Lorsque je rentre dans la chambre, il sort à peine de la douche, une serviette attachée autour de la taille. Quelques gouttes tombent de ces cheveux et glissent sur son torse parfaitement musclé. Il est d'une beauté surnaturelle. J'ai beau le savoir, ça me surprendra toujours.

— Alors, on y va ? dit-il en plongeant sur le lit à plat ventre.

Je bafouille quelque chose d'incompréhensible (prise en flagrant délit dans ma petite parenthèse de "je te mate et je bave"). Je reprends contenance et désinfecte la pince à épiler. J'imbibe également une bande stérile de désinfectant et tamponne ses entailles rouges. Il me faut ensuite charcuter les plaies pour extraire les éclats de bois. C'est nettement moins glamour tout à coup. Et je ne suis pas sure de m'y prendre comme il faudrait, j'ai peur de lui faire mal, mais il ne sourcille même pas. J'ignore combien de temps je m'attelle à cet exercice délicat. 

Lorsque j'ai enfin terminé, je range mes ustensiles après les avoir lavés et le rejoins. Il m'attrape par la taille pour que je m'allonge avec lui. Nous restons un moment ainsi à discuter, à chercher des solutions, des moyens de disparaître. Mais toujours se dresse l'ombre menaçante des Perpetrator. Même si nous fuyons à l'autre bout du monde, ils ne laisseront pas Cyrians leur fausser compagnie. Ils mettront des gars sur l'affaire et on nous retrouvera. Cyrians se plaint d'avoir faim, et je me souviens alors des sandwichs que j'ai achetés à la boulangerie. Nous les engloutissons en quelques minutes. Il fait encore jour dehors, mais nous sommes épuisés. Nous ne tardons pas à nous endormir, sans même s'être glissés dans les draps.

En plein milieu de la nuit, quelque chose vibre sur la table de nuit de Cyrians. Je ne suis pas assez éveillée pour réagir, mais Cyrians s'agite. Puis il me secoue brutalement.

— Émy, Émy, réveille-toi !

— Hum... Quoi ? Tu peux pas attendre demain !?

— Je viens de recevoir des instructions.

— Comment ça ? Recevoir ? Tu as gardé ton téléphone ?

— Non, c'est mon bipper. Il est impossible à localiser. Et j'ai l'interdiction de m'en séparer. Les Perpetrator nous contactent là-dessus.

— Bon... alors quoi ?

— Je dois partir demain pour Budapest. Et il est hors de question que je te laisse ici. Tu pars avec moi.

STATERA MUNDIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant