c.2: Drôle d'endroit

5.1K 308 30
                                    

- J'épluche des patates!

Remarquable QI, celui-là. Il laisse échapper un souffle de désespoir, en regardant le petit pie s'en aller brouter derrière moi. Remarque, il est plutôt mignon, mais c'est pour l'instant la seule bonne chose que je remarque. En peste prononcée, je croise les bras et le fixe. Déhanché, et... parfait!

- C'est bon? Tu as fini de pleurnicher? Maintenant place aux conneries? Je n'y peux rien si tu es arrivée ici, OK? Moi aussi je me serai bien passé de ça, achève-t-il d'un air plus que méprisant.

Pause. Je me sens rougir. Comment peut-il être au courant que j'ai pleuré?! Il a l'air d'en savoir, le coco. Et moi je ne connais même pas son prénom. Au pire, on s'en fou. Moins j'en saurais et mieux ma petite personne se portera. Au moins sur ce point là, on est fixés.

- Fini de pleurnicher? Demandais-je, on-ne-peut-plus sèche.

Manquerait plus que j'ai l'air sympa.

- Ma chambre est collée à la tienne, et l'isolation est très mal faite. Ça te dérangerait d'être polie avec moi où ça se passe autrement dans la tête des orphelins?

Il me lance un regard réprobateur, comme on le ferait à une fillette. Je n'aime pas ça, mais alors absolument pas.

- Donne-moi une seule raison de l'être.

Mes bras croisés et ma mâchoire se rétractent encore un peu: s'il continue, je vais finir par casser mes dents. Mais l'énergumène en a décidé autrement, il se décontracte et me lance une main, presque accueillant:

- Je m'appelle Adrien, je suis le garçon d'écurie et je suis considéré comme le fils des Franks, même si je ne suis là que pour le travail.

Il tend sa main, joyeux, comme si on ne venait pas de se friter et qu'on se rencontrait par le fruit du Ô grand et saint hasard. Sa main est pleine de poussière, tant que j'arrive à deviner la texture qui lui donne cette teinte foncée. Ses ongles rongés et noirs me dégoûtent, ça fait un bon bout de temps que mes mains n'ont pas été dans cet état là! Lui-même me répugne. Rien qu'à son odeur, on devine qu'il se pavane contre eux toute la journée. Soudain, le hurlement d'une corne retenti. Dans le temps, j'aurai pris cela pour un appel à l'aide, mais là... il arrête le temps sur son long brame.

- C'est l'appel au dîner, brise Adrien.

Son regard est planté dans mes pupilles, en quête d'un semblant de volonté ou d'optimisme, mais rien de tout cela n'y est. Même pas dans le fin fond de mes tripes. Je jette un dernier coup d'œil à sa main dégoûtante et pars, bras croisés.

Je monte dans ma chambre, juste histoire de tester la cloison. Histoire de vérifier l'info. Je toque deux fois sur le mur: effectivement, celui-ci est affolement fin. C'est limite si on peut s'appuyer dessus. Et merde!

Un deuxième appel retentit. Cette fois, je me résous à aller manger. J'ai faim, quand-même! Et puis... avec un domaine pareil, j'ai presque hâte de voir ce que les cuisinières ont préparé.

En arrivant, je constate que quatre couverts sont installés.

- Assois-toi ma grande, Adrien ne va pas tarder.

Ma grande?! Ils ont un problème ici, avec les appellations? J'ai seize ans, point. Appelle moi Iris, c'est pareil. Personne des deux époux ne semblent être au courant de ma bêtise, ils me gratifient du regard, comme si j'étais le fruit de leurs désirs. C'est plutôt... déstabilisant, je dois dire.

- Et... je bafouille, ne sachant trop que dire. Et les chevaux?

Ce petit manège m'inquiète de plus en plus, je me sens mal à l'aise: d'abord cette femme, ensuite la cloison, les chevaux, et pour finir: Adrien. Il n'y a rien que j'aime vraiment beaucoup ici, décidément. Pourvu que ce ne soit qu'un séjour de mauvaise augure. Ou du moins, pour les deux prochaines années. Anne m'offre une réponse des plus étonnantes, accompagnée de son sourire espiègle:

AzzaroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant