c.57: Douce soirée, ou pas

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Il est vingt heures cinq lorsque la cloche du jury sonne pour la dernière fois de la journée, le dernier concurrent s'engage au galop sur la grande piste, martelée par plus de deux cents paires de fers aujourd'hui. C'est une cavalière que je connais bien qui est sur le cheval, ce doit être la plus vieille du centre équestre, son cheval n'est aussi plus très jeune: il a 17 ans. En grande forme, les deux personnages sortant de l'ordinaire sautent le premier obstacle, côté à la hauteur d'un mètre et cinq centimètres. Il faut dire que du haut des un mètre quatre-vingt cinq de son grand Dada, il a l'air de simplement les enjamber.
Personnellement, je suis dans les bras d'Adrien, assis sur l'herbe autour de la carrière. Avant qu'elle n'enchaîne le deuxième, il dépose un petit baiser sur ma joue gauche et me glisse un mot à l'oreille alors qu'elle vient de sauter.

- Il faudra que je te parle d'un truc.

Je ne réponds pas, c'est à peine si je l'ai écouté. Toute mon attention est concentrée sur Laurence et Dada, ils ont l'air de faire ça comme ils l'ont toujours fait. Pauline est partie, Lou aussi, trop fatiguée. J'avoue que c'est à peine si j'ai la force de me lever après son parcours pour nourrir les chevaux. Adrien est aussi fatigué que moi, et je n'imagine pas l'état d'Olivier. Par contre, ce que j'imagine très bien, c'est le savon que je vais me prendre au repas, quand il va se rappeler de ce que je lui ai fait. Et puis au pire, je m'en fiche bien, j'ai fais mon parcours comme j'avais envie de le faire, c'est tout. Son idée était suicidaire, venant s'attaquer au principe qu'avait engagé Azzaro à mon propos, vous savez: Il ne permettra jamais que je sois malheureuse sur son dos. En même temps, Olivier ne pouvait pas le savoir.

Peu d'applaudissements résonnent dans l'enceinte même du concours, la plupart des gens sont rentrés chez eux, convaincus par le froid d'octobre. Moi aussi j'ai froid, mais les bras d'Adrien suffisent, et j'ai l'air d'également lui suffire. Laurence nous adresse d'ailleurs un sourire béat, tout en flattant l'encolure de son grand Dada. Nous la saluons alors, et c'est sans doutes cela, le bonheur. Celui de faire plaisir au gens, de voir les autres sourire, de n'être rempli de rien d'autre que la joie et l'envie de rire. Je me dis personnellement que j'ai beau vivre comme j'ai toujours voulu vivre, d'avoir absolument tout ce que je que veux, je n'arrive pas à me trouver, à me trouver moi, je suis mal, à chaque instant. Les seules secondes où j'oublie tout cela, elles sont sur le dos de mon adoré étalon. J'ai encore beaucoup de choses sur les épaules, un gros passé mal couvert, et des cicatrices mentales et physiques qui ne se réparerons jamais. Parfois, il faut accepter que les choses ne seront plus jamais comme avant, et que c'est comme ça. Je me rends triste seule avec mes pensées, mais je résiste pour que les larmes ne me reviennent pas.

- Adrien, pourquoi je n'arrive pas à vivre en paix avec moi-même?

Je me suis difficilement retournée, en tout cas suffisamment pour le voir s'étonner de ma question si subite et sans aucun rapport.

- Tu sais quoi, non laisse en fait, je suis débile.

- Si tu te poses cette question, c'est que tu réfléchis trop, tu es tout le contraire de débile dans ce cas. Arrête de te compliquer la vie, tu as tout ici!

- Je sais...

Je me souviens bien de l'année qui a couvert mes quinze ans, elle a été encore plus dure que toutes les autres années. En plus de vivre avec la mort et le manque constant de mes parents, de Scoub, de vie, j'étais en train de me construire une identité, devenir mature, changer d'air. Me consolider pour être la seule déteneuse d'Iris Joy, avec carte d'identité faite, n'a pas été chose simple, bien au contraire. Etre innocente a visiblement été épargné de mon sort, de ma conscience, de ma vie. Au moins, je n'aurais pas vécu comme les autres, de temps en temps je m'en réjouis, le plus souvent j'envie. Je me demande par ailleurs comment Boy s'en sors lui, je ne sais même pas quand il est né, par qui, je ne connais pas son ancien nom de famille, tout ce que je sais, c'est qu'il a l'air de n'avoir pas rêvé d'autre chose que d'être riche et avoir sa compagnie de chien. Il me tanne d'ailleurs plusieurs soirs par semaine de l'aider à chercher un autre chien, un berger allemand, qu'il veut, cette fois. Au sujet de mon nom de famille, il faudra d'ailleurs que j'en touche quelques mots à Anne un de ces quatre.

AzzaroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant